Texte A : « Dom Juan ou le Festin de pierre », pièce de Molière jouée le 15 février 1665 par la Troupe de Monsieur, frère unique du Roi.
Texte B : « Britannicus » (1669) - Acte I, scène 1 - Tragédie en cinq actes de Racine.
Texte C : « Cyrano de Bergerac » (1897) - Acte I scène 2 - Comédie héroïque en cinq actes d'Edmond Rostand
I. Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :
Le dramaturge se doit de fournir au spectateur, et ceci, dès les premières scènes, certaines informations concernant le personnage central de la pièce. Dans les textes A, B et C, qu'apprend-on au sujet de ces personnages ? Vous justifierez votre réponse par des indices textuels commentés.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
CommentaireVous ferez le commentaire du texte B « Dom Juan ou le Festin de pierre » (Molière).
Dissertation Selon vous, l'illusion créée par le théâtre éloigne-t-elle le spectateur de la vérité ou lui permet-elle de s'en approcher. Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur des exemples tirés du corpus et sur des œuvres que vous avez lues ou vues au théâtre.
Écriture d'invention
Documents autorisés : aucun Durée : 4 heures.
Texte A : « Dom Juan ou le Festin de pierre », 1665, Molière, Acte I, scène 1.
Au lever de rideau, Sganarelle, le valet de Dom Juan, brosse le portrait de son maître devant un autre domestique, Gusman (l'écuyer d'Elvire).
SGANARELLE
- Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi; et si tu connaissais le pèlerin (1), tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire (2), je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos (3), que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale (4), qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées (5) tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse: crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter; il ne se sert point d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie (6) : la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais: séparons-nous [...].
(1) un homme fin, adroit, habile et dissimulé
(2) il s'agit de la femme de Dom Juan
(3) expression qui veut dire en latin, « entre nous, confidentiellement »
(4) personne riche qui mène une vie de débauche, par allusion à un roi légendaire d'Assyrie du VII° siècle avant notre ère, réputé pour son vice
(5) bagatelle, faribole, baliverne, sornette, fadaise, propos futile
(6) contre mon gré...
Texte B : « Britannicus » (1669) - Acte I, scène 1 - Tragédie en cinq actes de Jean Racine.
L'action se passe en l'an 55 de notre ère. Agrippine, la mère de Néron, avoue à sa suivante Albine, la peur que lui inspire son propre fils (ce dernier envisage d'assassiner Britannicus après avoir enlevé Junie).
AGRIPPINE
Albine, il ne faut pas s'éloigner un moment.
Je veux l'attendre ici : les chagrins qu'il me cause
M'occuperont assez tout le temps qu'il repose.
Tout ce que j'ai prédit n'est que trop assuré :
Contre Britannicus Néron s'est déclaré.
L'impatient (1) Néron cesse de se contraindre ;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine, et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour.
ALBINE
Quoi ! vous à qui Néron doit le jour qu'il respire,
Qui l'avez appelé de si loin à l'empire ?
Vous qui, déshéritant le fils de Claudius, (2)
Avez nommé César l'heureux Domitius ? (3)
Tout lui parle, Madame, en faveur d'Agrippine :
Il vous doit son amour.
AGRIPPINE
Il me le doit, Albine !
Tout, s'il est généreux, lui prescrit cette loi ;
Mais tout, s'il est ingrat, lui parle contre moi.
[...]
Ai-je mis dans sa main le timon (4) de l'Etat
Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?
Ah ! que de la patrie il soit, s'il veut, le père :
Mais qu'il songe un peu plus qu'Agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler
L'attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,
Que de Britannicus Junie est adorée :
Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit !
Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour qui l'inspire ?
(1) qui est incapable de se contenir, qui ne supporte pas une contrainte
(2) Britannicus, héritier légitime du trône, est le fils de l'empereur Claude, assassiné en l'an 54 de notre ère
(3) l'empereur Néron est né Lucius Domitius
(4) pièce en bois pour atteler les bêtes de trait, pris dans le sens figuré de « gouvernement »
Texte C : « Cyrano de Bergerac » (1897)
Acte I scène 2 -
L'action de cette pièce se déroule au milieu du XVIIème siècle. Le Bret, un mousquetaire confident de Cyrano, Ragueneau, Cuigy et autres amis du héros font le portrait du personnage éponyme de la pièce.
PREMIER MARQUIS
Quel est ce Cyrano?
CUIGY
C'est un garçon versé dans les colichemardes (1).
DEUXIEME MARQUIS
Noble?
CUIGY
Suffisamment. Il est cadet aux gardes.
Montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s'il cherchait quelqu'un.
Mais son ami Le Bret peut vous dire...
Il appelle.
Le Bret !
Vous cherchez Bergerac?
LE BRET
Oui, je suis inquiet !...
CUIGY
N'est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires?
LE BRET, avec tendresse
Ah ! c'est le plus exquis des êtres sublunaires ! (2)
RAGUENEAU
Rimeur !
CUIGY
Bretteur ! (3)
BRISSAILLE
Physicien !
LE BRET
Musicien !
LIGNIERE
Et quel aspect hétéroclite que le sien !
RAGUENEAU
Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ; (4)
Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot
Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques
Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
Cape, que par derrière, avec pompe, l'estoc (5)
Lève, comme une queue insolente de coq,
Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
Fut et sera toujours l'alme Mère Gigogne, (6)
Il promène, en sa fraise à la Pulcinella, (7)
Un nez !... Ah! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !....
On ne peut voir passer un pareil nasigère (8)
Sans s'écrier: « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l'enlever... » Mais
Monsieur de Bergerac ne l'enlève jamais.
(1) Epée de duel à large lame.
(2) Le Cyrano historique était passionné d'astrologie et portait beaucoup d'intérêt à la lune.
(3) Personne qui aime se battre dans les duels à l'épée.
(4) Philippe de Champaigne et Jacques Callot sont des peintres de la Cour.
(5) Pointe d'une épée longue et acérée.
(6) Artaban est un héros imaginaire de roman, Mère Gigogne est un personnage du théâtre de foire, toujours entourée de ses nombreux enfants.
(7) Collerette de dentelle tournant autour du cou, portée notamment par Polichinelle, personnage de la commedia dell'arte surnommé Pulcinella.
(8) Nasigère, au sens étymologique, « porteur de nez ».

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