L'½uvre de Pascal a suscité de nombreuses polémiques et controverses, depuis sa publication jusqu'à nos jours; elle nous interroge, elle nous interpelle, et nous rappelle à notre condition, celle de la sujétion. C'est dire si elle demeure toujours actuelle et combien elle secoue notre quiétude, si elle dérange notre mansuétude et ébranle nos certitudes. Pascal nous condamne à l'infortune de nos pataugements assimilant la portée de nos sciences à celle de la vision d'une grenouille au fond d'un puits.
Pascal, cet entomologiste de l'âme humaine, ne laisse pas indifférent, car il nous conduit sur les rives glissantes d'une réflexion jamais interrompue sur le sens de notre vie, de la mort, nous confrontant par un mouvement pendulaire incessant au destin de notre existence. Une existence toute provisoire, et par conséquent dérisoire.
Cette conscience de l'homme l'obsède. Comme une angoisse dont les Pensées restituent la tonalité plaintive. André Gide ne se montre pas insensible à ces accents langoureux de l'½uvre pascalienne : « Qu'il gémisse, cela va bien ; ses gémissements sont fort beaux ». Les Pensées sont un cri déchirant, plus qu'une complainte maladive, un appel retentissant, un rappel... Gide refuse cependant de se mettre au diapason de ce lamento : « mais qu'il nous veuille forcer à gémir ; qu'il aille jusqu'à écrire : Je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant - n'y a-t-il pas de quoi s'écrier qu'on n'approuve que ceux qui trouvent ; qui trouvent avec des cris de joie. »
Gide face à Pascal. Ces deux pensées s'inscrivent dans des systèmes de représentation du vivant, mettant en jeu l'homme et sa nature, soulevant l'enjeu de la destinée humaine...
Que nous enseigne Pascal ?
La conscience de l'homme, c'est-à-dire la conscience de ses propres limites, l'étrangle dans sa finitude : la connaissance du monde le martyrise, l'ébranle. Certes, par la connaissance, l'homme s'élève, mais cette élévation le conduit au vertige. Vertige que l'on pourrait définir comme l'égarement d'un esprit tourmenté par le tourbillonnement de ses contradictions.
L'homme pâture dans un coin de l'univers, égaré dans un « canton détourné de la nature », toujours « éloigné de comprendre les extrêmes ». L'homme vit un « désespoir éternel », cherchant à se transporter vers l'au-delà de son horizon intelligible, et piétinant ce qu'il lui est encore moins visible, mais qui cependant l'entoure de toutes parts. Il cherche désespérément un sens à sa vie, une vie marquée par le drame perpétuel de l'impuissance et du désenchantement, par la tragédie universelle d'une condition misérable, mais non point méprisable : « Connaissons donc notre portée ; nous sommes quelque chose, et ne sommes pas tout » (Fragment 72 – section II – édition de Léon Brunschvig). Ce qui est méprisable, d'après lui, c'est la vanité : vanité de la science, de la philosophie, de la logique, vanité qui surgit du c½ur de l'homme. Pascal dénonce la vanité des sciences et des philosophies qui se complaisent dans la jactance : « Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler » (Fragment 152 – Section II). Cette vanité nous est agréable, nous nous contentons à bon compte d'une fausse renommée, d'une « fausse perpétuité de nom » (fragment 153).
L'homme aime se flatter : «S'il se vante, je l'abaisse [...] Je blâme également, et ceux qui prennent parti de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant » (Fragments 420 et 421 - Section VI). Cette conception de l'homme, ou plutôt cette condamnation sans appel de l'homme, participe d'une vision religieuse. Elle prend corps dans une entreprise que résume très bien le titre destiné au recueil des Pensées : « Apologie pour la vérité de la Religion Chrétienne ». L'homme est un « être déchu d'une meilleure nature qui lui était propre autrefois », un « roi dépossédé », dont la vie reste tachée par la souillure indélébile du péché originel. Il doit se débarrasser de cette salissure originelle en s'approchant de Dieu seul, en aimant Dieu seul, qui demeure l'auteur de son salut et de sa vie éternelle. Pascal raccroche la vie à l'idée du salut de l'âme, de la salvation. Selon lui, il faut avant tout « tendre les bras au libérateur ».
Pour avoir exploré les profondeurs de l'âme humaine, Pascal sait que seule l'humilité peut conduire et guider ces âmes déchues et insatisfaites vers Dieu, qui seul, détient le pouvoir de la grâce. Hors de cette grâce divine, point de rédemption; la souffrance sera éternelle. Ce que cherche l'homme, le bonheur, la félicité, il ne les trouvera pas sur terre ... La délectation terrestre n'est qu'un leurre. Seule la délectation céleste nous délivrera des affres de notre misère. Il faut nous préparer à cette vie éternelle que seul Dieu peut nous promettre, nous garantir, et nous laver de tous nos péchés, nous détourner de la concupiscence, telle que la définissait Saint-Augustin, c'est-à-dire, l'«hybris» des grecs. La vanité, telle que nous la présente Pascal, est démesure, excès ("S'il se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante » - Fragment 420).
L'homme doit réprimer sa nature, imparfaite et peccable. Il doit condamner tous les excès de cette nature oblitérée par le péché originel: la vanité, la concupiscence, l'orgueil (« L'orgueil nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères, erreurs... » ( Fragment 153 - Section II). L'homme est condamné à se combattre impitoyablement, et Pascal combat l'homme de façon tout aussi impitoyable. La pensée pascalienne reste tributaire du théocentrisme augustinien, auquel d'ailleurs le Concile de Trente tournait le dos. Pascal s'affirme dans les Provinciales comme dans les Pensées, mais là de façon moins polémique, comme un disciple de-Jansénius qui accorde à Dieu seul le souverain pouvoir de la grâce rédemptrice. Seuls les élus de Dieu peuvent être sauvés. Les âmes doivent donc se tourner vers Dieu seul, car seul Dieu peut inspirer le bien aux hommes. Pascal refuse de brader les sacrements, de solder le salut des humains. D'oùce renoncement total dont doit faire preuve l'homme : il faut expier les plaisirs du monde, renoncer à la délectation terrestre : « Dieu doit régner sur tout, et tout se rapporter à lui » (Fragment 460). L'homme doit se détacher de la concupiscence de la chair, des yeux, se débarrasser de son orgueil : « Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux ou orgueil de la vie : libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi » (ibid. Fragment 458). En définitive, Pascal appelle de ses v½ux la substitution d'un amour tourné vers Dieu seul, d'un amour théocentrique à un amour égocentrique (ce qu'il nomme « l'amour-propre »). Il s'efforce d'inspirer à l'homme le dégoût de lui-même (le moi est haïssable) en condamnant toute satisfaction du corps : « Il faut n'aimer que Dieu et ne haïr que soi » (Fragment 476). A propos des vertus humaines, Pascal proclame que « la vraie et unique vertu est donc.de se haïr » (Fragment 485).
Dans la perspective pascalienne, l'homme doit consentir à la mortification, à l'expurgation de ses désirs, il doit s'abandonner à la souffrance, au désespoir, à la douleur. Il y a opposition chez Pascal entre le corps, la nature qui définit notre créature, et la « substantia » qui appartient à Dieu seul. L'homme doit renoncer à cet état de nature, échapper à sa condition de créature pour accéder au statut d'une « surnature », et ceci par l'inspiration de la grâce divine.
Cette religion, cette vertu que prône Pascal dans les Pensées mutile donc notre nature en la violentant : elle renie le plaisir, considéré comme un délire de nos sens. La religion de Pascal nous enferme dans la contention, nous enchaîne à la pénitence et au repentir. On pourrait y discerner une volonté de contenir nos passions, de mettre sous tutelle notre liberté, notre faculté d'auto-détermination... L'expulsion de toute jouissance, l'évacuation du corps souillé matérialisant l'âme pécheresse, expliqueraient ce dégoût de soi-même. L'homme serait-il né pour gémir ?
Non, répond Gide... l'homme est né pour jouir, pour trouver le bonheur, « avec des cris de joie ». L'homme doit trouver sa voie dans la joie, dans l'allégresse : « le dernier but de notre vie, disait déjà Montaigne, c'est la volupté » Toute prohibition, affirmait le même Montaigne dans ses Essais, ne saurait être qu'une « bride à veau ». Gide semble dire avec lui, qu'il nous faut suivre notre nature : « Il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » (André Gide : Les Faux-Monnayeurs). Nous pouvons lire dans cette pensée l'écho du chapitre XIII, Livre III, des Essais : «J'accepte de bon c½ur et reconnaissant ce que Nature a fait pour moi ; et m'en agrée et m'en loue ; on fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don, l'annuler et défigurer ; tout bon, il a fait tout bon ». L'épicurisme de Montaigne, l'égotisme de Gide s'opposent au rigorisme pascalien. La morale pascalienne apparaît à Gide comme une véritable imposture dans l'exacte mesure où elle émascule la totalité de l'homme, en tant qu'être libre et capable de création, d'invention, de détermination. Gide refuse de se mutiner contre cette nature : l'homme est capable d'ascension, sans l'aide de Dieu. Il est capable de s'élever par lui-même. Voilà ce que ne pouvait admettre Pascal qui combattait avec tant de véhémence la doctrine pélagienne : toute ascension ne peut s'obtenir, selon lui, que par l'action de la « grâce ».
C'est dire si l'homme, chez Pascal n'est que créature, et que cette ascension, entendue ici comme une s »surnature » ne peut s'opérer qu'au prix d'une enjambée par delà sa nature. Pascal avait bien senti que l'humanisme de Montaigne entamait les fondements même de la religion chrétienne, et de façon bien plus nocive, plus corrosive que le pélagisme. Pascal ne pardonnait pas, ni à Montaigne, ni à Descartes, ni à ceux parmi tant d'autres qui mettaient Dieu sur la touche : il ne s'était pas laissé trompé par l'« Apologie de-Raymond de Sebond » de Montaigne, pas plus qu'il ne s'était laissé abusé par le détour de la preuve ontologique de Descartes dans les « Méditations métaphysiques ». En définitive, Pascal confisque à l'homme le pouvoir de modeler son propre destin, son devenir. Pascal est un démolisseur : il n'est jamais aussi convaincant que dans cette entreprise de sape. C'est d'ailleurs ce qui le trahit. Pascal dégrade l'homme. Il tue le « Prométhée » en puissance qui est en chacun d'entre nous, semble dire André Gide. En effet, l'ascétisme rigoriste que nous propose Pascal ne nous conduit-il pas à une sorte de paralysie, de léthargie ? La contemplation morbide et béate pourrait être assimilée à une sorte d'apathie. La philosophie pascalienne ne nous conduit-elle pas aux confins d'une mystique nous figeant dans une attitude contemplative ? Pour Pascal, notre vie n'est qu'un passage, qu'une durée précaire ? La vie se réduit à « la chose du monde la plus fragile » ... Avant de conclure que « quelque belle que soit la comédie en tout le reste » [...] le dernier acte est sanglant ». La mort obsède le philosophe : « on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ».
D'après Pascal, seule la religion chrétienne peut enseigner le bien : la morale véritable se moque bien de celle des philosophes, des oraisons, comme la justice divine se moque bien de la justice toute conventionnelle des mortels. La morale véritable ne relève d'aucune autorité humaine, mais seulement de l'autorité inviolable de la religion. Dans ce sens, « la vraie morale se moque de la morale » (Fragment 4, section I).
Les véritables règles qui doivent inspirer nos actions ne peuvent être ordonnancées que par Dieu : ce sont les règles de la religion chrétienne, dépositaire des instructions et des ordonnances divine. L'élévation de l'âme va de pair chez Pascal avec l'élévation vers Dieu : s'approcher du bien, c'est se soumettre totalement à la volonté divine exprimée dans les saintes Ecritures. Cette soumission totale fonde l'essence même du christianisme, constitue ce « en quoi consiste le vrai christianisme » (Fragment 269 - Section IV).
Selon Gide, il ne saurait être question de se transformer en automate. Je refuse de devenir « l'esclave de ma foi » écrit-il. La seule et véritable règle, selon l'auteur de « L' Immoraliste », consiste à être soi-même et à aller au bout de soi, à retrouver un moi authentique qui a été altéré par l'éducation. L'oeuvre gidienne dans son ensemble éclaire son commentaire du fragment 421 des Pensées: « n'y a-t-il pas de quoi s'écrier qu'on n'approuve que ceux qui trouvent, qui trouvent avec des cris de joie ». Pour Gide, le bonheur consiste en l'harmonie de ce « moi » avec une morale qu'il gérerait lui-même.- Cette morale égotiste voit confier l'administration de la conscience à l'individu lui-même : la seule et véritable morale ne peut être inspirée que par l'élan de la sincérité, entendue ici comme l'expression même de ce « moi », de ses mouvements intérieurs. Gide développe en quelque sorte d'éthique personnelle qu'il assimile à la « science de la parfaite utilisation de soi ».
Dans son roman « L'Immoraliste », Ménalque, ce personnage très nietzschéen affirme : « La plupart d'entre eux (les gens) pensent n'obtenir d'eux-mêmes rien de bon que par la contrainte; ils ne se plaisent que contrefaits ». Et Gide de poursuivre par l'intermédiaire de son héros : « Je hais tous les gens à principes [...] ils ne font jamais que ce que leurs principes ont décrété qu'ils devaient faire. » Toute contrainte extérieure, semble dire Gide, ne peut conduire qu'à la souffrance, au mal vivre, nous pousser jusqu'aux « gémissements ». L'apologie du plaisir réhabilité ne le conduit pas, loin s'en faut, vers l'immoralisme, qui prendrait forme dans un hédonisme exacerbé, justifiant la recherche exclusive du plaisir pour lui-même. L'½uvre gidienne semble déceler au contraire une tentative de réconciliation du corps et de l'esprit, de la chair et de l'âme, du plaisir et de la conscience morale et religieuse.
La morale et la culture, telles que nous les impose notre éducation, étouffent les richesses du moi : « en chaque être, le pire instinct me paraissait le plus sincère », avouait Gide. Mais il ne s'agit pas de laisser en jachère le terrain de nos préoccupations morales. Ni de rechercher le ravissement pour se laisser submerger par le délire de nos passions, ou le déferlement de nos « pulsions », pour employer un terme plus freudien. Gide retrouve ici les préceptes moraux de Montaigne qui voyait à travers les exaltations de nos sens, l'explosion de nos sensations, ce contact de notre corps avec la nature, sa nature, et qu'on appelle « plaisir », un lien renoué avec ce qui nous était donné par notre « mère Nature ».
Alors que Pascal prêche l'oubli de soi, Gide, à l'inverse, encourage l'exaltation de soi. La vie se résume pour Pascal à des points de suspension ; Gide au contraire saisit l'instant et l'instant seulement. L'homme, selon Pascal doit renoncer à tout. Il n'invente rien. Seule une totale utilisation de soi paraît effectivement la garantie d'une invention, ou d'une réinvention totale, dans l'intensité de la jouissance et de la liberté.
La philosophie pascalienne nous laisse quelquefois l'impression douloureuse d'un gouffre dans lequel l'homme se trouve enfermé. Un gouffre où suinte l'angoisse, la peur de la mort. Un abîme où s'étouffent les cris de joie, où s'éteint la palpitation de la vie. Il y a pourtant d'autres choses à dire de l'homme, « d'autres choses à lire, dans l'homme ». On aimerait rétorquer à Pascal ces quelques lignes de Gide : « On n'ose pas. On n'ose pas tourner la page. Lois de l'imitation ; je les appelle lois de la peur. On a peur de se trouver seul et l'on ne se trouve pas du tout [ ] Pourtant c'est toujours seul qu'on invente. Mais qui cherche ici d'inventer ? Ce que l'on sent en soi de différent, c'est que l'on possède de rare, ce qui fait à chacun sa valeur, et c'est là ce que l'on tâche de supprimer. On imite. Et l'on prétend aimer la vie » (L'Immoraliste, André Gide).
« Les plus belles ½uvres des hommes sont obstinément douloureuses », écrit-il dans ce même roman. Mais « que serait le récit du bonheur ? Rien, que ce qui le prépare, puis ce qui le détruit, ne se raconte». Rien ne paraît décisif à l'homme, en dehors de sa propre mort. Mais n'est-ce pas là ce qui fonde la grandeur de l'homme ? Peut-être n'y a-t-il rien à chercher en dehors de cette mort certaine qui doit nous frapper à l'improviste ?
Qu'est-ce le bonheur, à l'échelle d'une vie humaine, sinon ce qui s'installe entre ce qui la prépare et ce qui la détruit ? N'est-ce pas la mort elle-même qui donne tout son sens véritable à notre vie, à notre quête ? Car, sans la mort, il n'y aurait plus rien, ni à chercher ni à trouver... Il n'y aurait plus ni point de départ, ni point d'arrivée. Que serait l'homme sans la mort ? Ni « un géant à l'égard de l'infini », ni un « tout à l'égard du néant », pas plus qu'un « milieu entre rien et tout»... Si la mort nous épargnait, ne devrions-nous pas craindre de voir suspendu à jamais le bonheur de vivre ? Qu'aurions-nous à gagner à la vie ? Car il n'y aurait plus rien à dire de l'homme, plus rien à changer dans l'homme, plus d'hommes à inventer, et plus d'enfantement possible. L'homme passerait sa vie à gémir devant l'épitaphe de son double.
« La suppression de la mort devrait entraîner, ipso facto, celle des naissances. L'humanité, formée de groupes de vieux, même alertes et expérimentés, n'aurait plus la possibilité de s'enrichir. Elle tournerait en rond et finirait sans doute par disparaître. Les malheurs d'une vie sans fin se révéleraient enfin insupportables » (Jacques Ruffié, « Le sexe et la mort ».
L'homme peut donc trouver à travers son destin la joie de vivre, le bonheur de vivre, de se donner à la vie et de donner la vie. Pascal, en son temps, mit sa plume au service de l'humilité de la vision chrétienne du monde. S'il vivait aujourd'hui, peut-être mettrait-il toute son ardeur au service des sciences.
La vie apparaît non pas comme un point fixe et immobile dans l'infini, pas plus comme une passerelle jetée vers un au-delà imaginaire et illusoire ; la vie ne signifie pas l'enfermement de notre existence individuelle dans une condition donnée. La vie est une chaîne, chaque vie humaine est un chaînon qui soude une aventure collective (l'existence de l'espèce) et qui perpétue la sauvegarde d'un patrimoine toujours précaire. Ce qui nous paraît douloureux dans la quête de l'homme, c'est avant tout cette distance sans cesse grandissante qui sépare toujours ses aspirations et la réalité d'une condition actuelle dont le procès lui échappe. Distance qui sépare non pas l'irréel du réel, mais le virtuel tel qu'il est rêvé par l'homme et le réel "actuel', tel qu'il est vécu dans son instantanéité. En ce sens, toute oeuvre humaine, toute démarche, toute aspiration comportent souffrance et insatisfaction. Mais le désir joue toujours son rôle moteur de l'activité humaine sans cesse dirigée vers un « plus-à-être ». Tout étant perfectible, l'homme ne peut ½uvrer et avancer que dans la joie, rencontrant un "mieux-à-être" sur sa voie. Il y met toute son énergie. « Le Moi est haïssable », prétend Pascal... « Le Moi d'hier, pas celui d'aujourd'hui », lui rétorque André Gide. Les conditions d'existence que tout homme hérite ne doivent pas le contraindre au sentiment de culpabilité. Le péché originel qui fonde le mysticisme pascalien, n'est-il pas l'expression d'un sentiment de culpabilité ? Peut-on rejoindre Pascal dans le renoncement ? Sans doute pas...
Ne pourrait-on pas voir dans Pascal, cette « sorte d'ennemi du genre humain » dont parle Valéry, cet « enfant terrible de Port-Royal », qui « se perd à coudre des papiers dans ses poches, quand c'était l'heure de donner à la France la gloire du calcul de l'infini » ?
L'éloquence, l'autorité de Pascal ne doivent pas nous faire oublier les « vaniteux » qui ont eu le courage de leurs découvertes ? Sans la vanité d'explorer le firmament et de flirter avec les étoiles, ce siècle n'aurait jamais connu les Newton, Huygens, Beeckman, Roemer, Picard, Cassini ...
Une perspective manque cruellement dans la vision pascalienne: la participation dans la joie et avec les palpitations du c½ur à la gestation d'un monde nouveau, d'une humanité nouvelle. Cette humanité, comme le dit Albert Bayet, qui, à force de sagesse et de science, « après avoir été, durant des millénaires, une machine à faire des dieux, pourra devenir enfin une machine à faire des hommes ». Bernard Mirgain.
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