Sujet de dissertation proposé aux classes de 1° S
Les textes argumentatifs à visée persuasive, quelle que soit la forme littéraire qu'ils adoptent - parmi les genres de l'argumentation directe ou indirecte : essai ou narration utopique, discours ou pamphlet, maximes, contes ou fables, pensées, mémoires, satires ou chansons - se concentrent sur un unique sujet : la condition de l'homme. Cette possibilité d'écriture est une veille intellectuelle, une archive de la vie conjuguant érudition et désir de partage. La littérature d'idées éclaire, infléchit nos histoires personnelles et trajectoires individuelles. Loin de nous soustraire au commerce des vivants, cette forme d'expression littéraire énonce et dénonce.
Cette littérature est inséparablement révélation et libération. Qu'en pensez-vous ?
Avant propos du professeur
La littérature d'opinion, d'idées, et les romans, nouvelles, pièces de théâtre ou poèmes, ce n'est pas la même chose. Elle fait feu de tout bois : les essais, pensées, maximes, contes ou apologues, satires, pamphlets, discours, correspondances. Cette littérature à visée persuasive est aux prises avec les avanies de notre existence. Les textes argumentatifs, toujours convaincus et éclairants, prennent pour objet, dans leurs multiplicités nomades, tous les sujets possibles : la haine ou la destruction de l'autre, de l'environnement aussi, la condamnation du féodalisme, de l'absolutisme despotique, de l'impérialisme industriel, le colonialisme et le racisme, etc...
L'écrivain n'est pas qu'un oisif qui lézarde aux terrasses de cafés. C'est un éveilleur de conscience. La « révélation » dont il s'agit ici – mot pris au sens de « communication » - c'est le dénominateur commun de ces textes littéraires, qui nous maintiennent obstinément la tête hors de l'eau. Qui nous rendent capables de voir ce que nous avons sous nos yeux. Avec cette volonté fiévreuse de retrouver le chemin de l'essentiel.
Le sujet de la dissertation insiste sur l'idée que la révélation et la libération ne peuvent être séparées, parce que l'une amène l'autre. Qui dit libération dit liberté. Devenir libre, cela veut dire quoi ? La littérature argumentative est une aventure (celle de la pensée, de la réflexion) qui appelle au dépassement de soi : elle participe à la construction de l'individu (une sous-partie de la partie II consacrée à la libération de soi) et à la gestation d'une société nouvelle (deuxième sous-partie consacrée aux formes possibles d'une émancipation collective). Ces textes littéraires constituent une mise à l'épreuve face au réel (fables de Jean de La Fontaine). Un raccourci - pour l'auteur et le lecteur - de sa propre existence. On pouvait envisager un autre plan - ce que certains élèves ont tenté - en envisageant la « libération » sous l'angle de l'auteur, puis dans la perspective qui serait celle du lecteur. Une démonstration ambitieuse. Résumons : être libre, c'est être responsable, affronter et réparer ses échecs, s'accomplir enfin. En guise de conclusion, beaucoup d'élèves ont affirmé que cette littérature nous offrait les clés d'un ré-enchantement du monde.
Thèmes : le sombre lit de douleur de l'amour en fuite (Léo Ferré), la diplomatie du business, le capitalisme comme régime kleptocratique (Renaud), l'enfance martyrisée, un monde orphelin de toute solidarité humaine (Hugo), le fascisme, le sexisme des codes masculins (littérature féministe), les conventions sociales, l'homophobie, la tyrannie de la consommation, la maladie, l'obsession de la mort (Courseaux). Inutile de chercher l'aiguille dans une botte de foin !
Défauts à éviter dans la dissertation : le bafouillage saupoudré de citations noyées dans un marécage rhizomatique. Il ne sert à rien de citer des passages de textes étudiés en classe ou parcourus chez soi. Une belle phrase, une sentence finement ciselée est la bienvenue, de temps en temps. Autre bourbier : une purée de langue pleine de bribes de mots décousues, les phrases interminables aboutissant à un salmigondis barbare, pour ne pas dire à un baragouin total. Il vaudra mieux faire des phrases courtes, synthétiques, qui vont à l'essentiel.
Auteurs cités par les élèves dans leurs copies :
*Montaigne, à propos de la torture, de l'invention des géhennes, de l'éducation des enfants, dans ses « Essais ». Mais aussi de la mort (« Prima, quae vitam dedit, hora carpsit » - Sénèque - « Notre première heure, qui nous a donné la vie, l'a entamée... »).
*Voltaire et ses contes philosophiques qui perpétuent les réflexions de critique sociale, morale ou religieuse (notamment dans « Candide ou l'Optimisme » publié en 1759 ou bien « Micromégas » - 1752). Ces écrits confrontent des opinions, permettant de conforter le lecteur dans ses propres positions, ou tout du moins de l'encourager à une prise de recul.
*Les vibrants actes de foi dans les valeurs humanistes et républicaines de Condorcet : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l'égalité n'est pas réelle » (Condorcet - 1743-1794 - Journal d'instruction sociale - 1793).
*Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, est régulièrement citée pour la pugnacité de ses revendications féministes (« Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » - 1791). D'autres pionniers de la cause féministe l'avaient précédée (Marie de Gournay au XVIIème siècle, et Condorcet, auteur de l'essai « Sur l'admission des femmes au droit de cité » - 1790). On oublie parfois qu'Olympe de Gouges* a écrit plusieurs textes pour dénoncer le sort des noirs dans les colonies, et pour exiger la disparition de l'esclavage.
*Victor Hugo, ardent défenseur des pauvres, qui veut introduire dans l'acte politique un sentiment d'humanité : « Actes et paroles », recueil de discours et déclarations publiques devant les parlementaires (1875). A propos de l'émancipation des femmes, il écrivait : « Le XVIIIème siècle a proclamé le droit de l'homme, le XIXème proclamera le droit de la femme ». Est également citée sa lutte pour le droit d'asile, son combat acharné contre la censure (correspondance de Hugo au Ministre de l'Intérieur du 5 janvier 1830 : « La censure est mon ennemie littéraire, la censure est mon ennemie politique »). Une manière de rappeler que la liberté est avant tout un état exempt de toute contrainte...
*Les philosophes des Lumières trouvent une place de choix dans de nombreuses copies, et à juste titre (Montesquieu, Diderot, D'Holbach, Helvetius, Voltaire, Condorcet). L'Encyclopédie (1751-1772), où domine l'exigence de certitude, fut le rêve de ces esprits éclairés Tout le savoir occidental est pétri par cette littérature de précision. Jusque-là, la pensée s'était contrainte à ne regarder que le ciel. Désormais, tous les ouvrages d'érudition s'émancipent des croyances obscurantistes des religions. Ce qui va libérer les sciences : elles vont tourner le dos à la certitude religieuse. L'homme parvient à échapper à la fatalité divine.
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Les militants des droits civiques Rousseau et Voltaire (l'affaire Calas en 1762, du chevalier de La Barre en 1765) trouvent droit de cité. Et notamment le philosophe Montesquieu (« De l'esclavage des nègres » est un extrait de l'ouvrage De l'Esprit des Lois, traité de sociologie politique que Montesquieu publiera en 1748).
Le Siècle d'or n'est pas en reste, avec Jean de La Fontaine, bien sûr (« L'Âne portant des reliques » - Livre V fable XIV, « Le Loup et le Chien » - Livre I, fable V – « Rien de trop » - Livre IX , fable XI). Les contes ou nouvelles sont parfois mentionnés : Charles Perrault (la morale du « Petit chaperon rouge » - 1698) et Alphonse Daudet (« Les Trois Messes basses », récit publié en 1875 dans les Contes du lundi, puis dans les « Lettres de mon moulin » en 1878).
*La forme du discours militant, celui de la jeune pakistanaise Malala Yousafzai (victime d'une tentative d'assassinat en 2012, prix Nobel de la paix en 2014), qui milite pour l'éducation des filles et dénonce l'endoctrinement coranique des madrasas, ces pépinières de fanatiques talibans). Les essais de Didier Daeninckx, l'auteur de « Cannibale » 1998, fustigeant le révisionnisme historique. A l'occasion du centenaire de la mort de Jean Jaurès [1859-1914], une copie d'élève cite la célèbre phrase de ce tribun : «Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience ».
*La chanson à texte peut légitimement faire partie du domaine de l'argumentation littéraire. Non pas en raison d'une pénurie de papier. Elle peut être considérée comme une libre conversation où chacun se retrouve comme à un rendez-vous. Les grands classiques sont évoqués : « La Marseillaise », « La chanson de Craonne » (1917), « Le Chant des partisans » (hymne à la résistance écrit par Joseph Kessel et Maurice Druon en 1943). Avec un clin d'½il en direction de Georges Brassens (« Mourir pour des idées » - 1972 – « Plus de danse macabre // Autour des échafauds // Mourons pour des idées // D'accord, mais de mort lente »). Ou d'Eddy Mitchell (« Société anonyme » - 1966) et enfin du groupe Tryo (« Greenwashing » - 2012, chanson qui tourne en dérision les « Pinocchio » du marketing et du consumérisme). Sont cités aussi des poèmes de Boris Vian mis et musique et chantés par Serge Reggiani (« Le Déserteur ») et Joan Baez (« A tous les enfants »).
*La chanson militante des coqueluches « révolutionnistes » n'est pas en reste. Celle d'un Bénabar dans « L'effet papillon » (2008) qui conspue un monde où « tout bat de l'aile ». Celle d'un Damien Saez (« Jeune et con » en 2001, « Jeunesse, lève-toi » en 2008), qui, à rebours du lyrisme de garage, honnit la chloroformisation de la jeunesse (« Uniformiser nos éducations // Toujours entre le blé et le pognon // Les mômes ne rêvent plus de marcher sur les lunes // Ils rêvent de savoir comment s'faire de la thune » - chanson « Cigarette » en 2010).
*D'autres chansons engagées, dans des versions zwinguées, rappées ou riffées, qui ne versent pas dans la guimauve, ont contribué à la levée des tabous en faveur de la reconnaissance de l'homosexualité : « Bourrée de complexes » de Boris Vian, « Le tourbillon de la vie » de Jeanne Moreau (1962), « L'hôtesse de l'air » de Dutronc (1969), sans oublier Gainsbourg, Julien Doré, Mika, Mylène Farmer, Courseaux, et bien sûr Renaud (« Petit Pédé »). Les chansons qui privilégient le texte peuvent changer notre façon d'être avec les autres, elles peuvent modifier les choix que nous avons à prendre dans notre vie, en démontant les mécanismes des préjugés. Notamment au regard de l'identité de genre, de la diversité de nos orientations affectives, des relations allosexuelles (« Pointé du doigt », chanson de l'album « Nowhere Else » de Bruno Roy, écrite en 2007 pour la journée mondiale contre l'homophobie). Plusieurs copies mentionnent les chansons-titres de Neil Young pointant du doigt le conservatisme ségrégationniste, le militarisme du Pentagone et l'ultra-libéralisme financier. D'un certain point de vue, l'histoire des idées, grâce à la scène et aux spectacles vivants, est aussi une histoire de présences humaines.
*Les apologues de Franck Pavloff (« Matin brun » publié en 1998) mettant en garde contre l'instauration de systèmes totalitaires. Certaines pages de Mireille Havet [1898-1932], tirées de son « Journal » décrivant la solitude face à la défiguration absolue de l'humanité.
*Les albums de bandes dessinées forment un assemblage de textes à la calligraphie étudiée, fruit de l'association de l'écriture et du dessin. Notre ½il s'imprègne de pages remplies de motifs colorés, mais aussi de mots. Ce media se distingue, bien évidemment, des volumes de la Pléiade, sans sortir de « l'orbitalité » du genre argumentatif. C'est un art protéiforme par lequel des artistes singuliers et avant-gardistes nous transmettent des idées, en créant des univers où l'on peut se promener (« Paroles sans papiers », album dirigé par Alfred et David Chavel, publié en 2007 aux éditions Guy Delcourt). Le dessinateur Art Spiegelman utilise l'art du zoomorphisme pour rendre compte graphiquement de l'extermination des juifs par les nazis (« Maus » - prix Pulitzer en 1992). La bande dessinée alternative « Persépolis » (2003) de la scénariste et dessinatrice Marjane Satropi (qui a donné lieu à un long métrage en 2007) repose sur une trame narrative, autobiographique : elle témoigne de l'islamisation forcenée des m½urs et de la culture en Iran. Ce qui ouvre une réflexion sur le traumatisme de l'exil, sur l'expérience de l'abandon et le basculement dans le chaos.
Erreurs à éviter :
*Citations de romans, pièces de théâtre ou autres genres littéraires qui n'ont pas explicitement une visée argumentative.
*Les récits où des humains se transforment en loup une nuit de pleine lune, les égarements ésotériques à propos de Dan Brown, les exégèses de Giacometti, Ravenne, etc...
*La filmographie : « Le Territoire des loups » de Carnahan....
*Les textes de chanson qui n'argumentent pas (Stromae « Quand c'est ») ou aux thèses peu convaincantes : difficile de croire, par exemple, à une liberté de pensée soudoyée, galvaudée (« Ma liberté de pensée » de Florent Pagny sert plutôt d'alibi à la liberté de tricher avec le fisc).
Ouvrages recommandés
* « Femme, réveille-toi ! » - Olympe de Gouges - édition Gallimard – collection Folio – janvier 2014-
* « Ainsi soit Olympe de Gouges » de Benoîte Groult - éditions Grasset - Paris 2013 –
*La Fleur au fusil. 14-18 en chansons », de Bertrand Dicale - éditions Acropole – 2014. * « 100 chansons censurées » – Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez – éditions Hoëbeke ISBN 978-2-84230 – 517-8 –2014 –
*« En France » - Florence Aubenas – Editions de l'Olivier – octobre 2014 –
Lire la dissertation rédigée par le professeur de la classe :
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