ECRITURE D'INVENTION
Sujet : Vous êtes un metteur en scène et vous avez monté et adapté la pièce de Beaumarchais «La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro». Après la représentation de votre pièce, des critiques de théâtre ont adressé des reproches concernant vos choix de mise en scène. Dans un article de presse adressé au grand public, vous répondez à ces critiques...
Copie d'une élève de 1° ES
Les Baba Cool s'invitent au Mariage de Figaro
Le metteur en scène répond à la critique sur sa réinterprétation « peace and love » du « Mariage de Figaro ou la folle journée » de Beaumarchais.
En cette fin de mois hivernal, juste avant les crises de foie, certains sont venus se réchauffer sous le lustre du théâtre du Châtelet. La salle était comble pour ma première représentation du Mariage de Figaro. Les spectateurs ont ri et applaudi avec joie. Ainsi fut-elle bien accueillie par le public, mais pas autant par la critique. En effet, les critiques n'ont pas gardé leur langue dans la poche. J'entends bien que l'on puisse me reprocher diverses choses, car la perfection n'existe pas. Je vais donc répondre aux remarques qui m'ont été adressées par différents critiques, qui se reconnaîtront dans ces lignes.
Ce qui a d'abord été discuté, c'est le motif que j'ai choisi, à savoir les hippies. Le lien qui existe entre ce style de vie et l'½uvre de Beaumarchais est certes un peu complexe, mais pour moi, il est évident. Le mouvement hippie est né dans les années 1970. Ses adeptes rejettent le matérialisme, contestent les valeurs associées à la réussite professionnelle et remettent en cause toute forme de domination. Ils éprouvent un besoin d'émancipation, tout comme les femmes à l'époque de Beaumarchais qui voulaient être considérées en tant que groupe social. Les hippies réclament une fraternité universelle, aspirent à une vie où les rapports humains se veulent plus authentiques. Je tiens à souligner les événements qui ont eu lieu à cette époque et qui m'ont profondément marqué : mai 68. Mai 68 c'est la date de la contestation de toute forme d'autorité. Les lycéens ont voulu changer la société et critiqué le capitalisme, notamment. Ce qui ramène à la critique des puissants, des maîtres, la pièce s'interrogeant sur les droits de chaque individu.
Ma distribution des rôles et le jeu des acteurs a été passé également au crible. On m'a reproché des acteurs trop éloignés des personnages principaux de la pièce. Vanessa Hudgens dans le rôle de Suzanne, Jared Leto dans celui Figaro, Carly Simon qui incarne la Comtesse et Mick Jagger le Comte Almaviva n'ont peut-être pas les caractères des protagonistes de l'époque. Mais ils symbolisent la « hippie mania »... De plus ce sont des acteurs qui n'ont qu'à jouer leur rôle, et ici je parle de rôle au premier degré : faire leur métier. Je leur ai dit, comme Molière l'a fait avant moi, de « prendre le caractère de leurs rôles ». Autrement dit, se remplir du personnage, de se mettre dans sa peau, de sorte qu'on ne sache plus qui habite l'autre. Le jeu des acteurs a aussi interpellé certains. En particulier à deux moments. Premièrement, sur les relations amoureuses, plus intenses et plus charnelles dans ma mise en scène, donc moins dans la retenue. Cela s'explique simplement : dans la communauté hippie, le sexe n'était pas un sujet tabou, l'amour était libre d'où les célèbres citations « Peace and Love » ou encore « Faites l'amour pas la guerre !». Ma Suzanne se permet de mener le Comte par le bout du nez. Cela renvoie à l'idée que chez les hippies, l'homme n'est pas considéré comme dominant. Et deuxièmement dans la scène 10 de l'acte I, j'ai volontairement transformé la toque virginale en collier de fleurs, plus quelques pétales que le Comte pose dans les cheveux de Suzanne. Ici encore un rappel à mon thème avec le célèbre « Power flower ». La consigne était pour cette génération de porter des fleurs dans ses cheveux.
On a également trouvé à redire sur ma scénographie. Son côté psychédélique et mon excentricité ont déplu à certains. Mais je n'ai pas fait les choses dans la demi-mesure. J'ai joué le jeu à fond ! J'ai imaginé un décor en accord avec mon thème comme le tipi de l'acte I, le van Volkswagen aux couleurs acidulées dans l'acte suivant, et le feu de camp dans le troisième. Les voyez-vous évoluer dans un château et une salle du trône ? Les comtesses du XVIIème dorment dans des lits à alcôve, ma comtesse, elle, dort dans le lit pliant du van.
J'aborde maintenant la partie qui a le plus fait jaser, le monologue de Figaro. La critique s'est déchaînée sur ma réinterprétation. On m'a éreinté de reproches : « Un costume trop gai pour une scène aussi sombre, un manque de sérieux » m'a-t-on dit. Et bien non, je ne le pense pas. Au risque de me répéter, je suis restée fidèle à mon projet, il est donc normal que mon Figaro soit vêtu d'un pantalon patte d'éléphant, d'une chemise à fleurs et d'une paire de lunettes de soleil rondes. Selon le célèbre dicton « l'habit ne fais pas le moine »... Pour moi, le costume n'a aucune influence sur le sérieux et la crédibilité de Figaro. Sans perler de la lumière jugée elle aussi trop joyeuse, contrairement à l'indication didascalique de Beaumarchais (un monologue « dans l'obscurité »). Mes guirlandes lumineuses posées ici et là (comme par exemple celle faisant le tour de la guitare) pour dédramatiser la scène ont posé problème. Mais enfin, nous n'assistons pas à un enterrement ! Non, ce n'est pas toujours tout noir lorsque l'on broie du noir ! Et enfin le jeu de mon acteur, mon sésame, j'en suis très fière. Sachez que j'ai eu un malin plaisir à lire vos critiques à ce sujet : « trop détaché de l'½uvre », « trop de libertés », « Beaumarchais a dû se retourner dans sa tombe ». Eh bien, mes chers amis, laissez-moi vous expliquer... Figaro a chanté son monologue à l'aide de sa guitare. La guitare est un instrument phare des hippies et de plus, c'est un élément que j'ai conservé de la pièce originale : Suzanne accompagne Chérubin à la guitare lorsque ce dernier récite sa romance et Figaro lui-même joue de cet instrument lorsqu'il nargue Bazile dans la scène 3 de l'acte II. Lorsqu'il évoque les événements liés à l'intrigue, il s'avance au bord de la scène et chante. Son monologue prend une allure de chanson engagée qui est de nos jours très « hipe ». Le chanteur engagé a pris conscience des problèmes de la société de son époque. La chanson engagée critique les différents régimes et leurs dirigeants, mais aussi les injustices dans le domaine socio-économique. On tombe ici parfaitement dans le texte : Figaro remet en cause la censure, l'arbitraire des puissants, la réussite sociale liée à la malhonnêteté. Lorsqu'il évoque sa destinée, il ne s'assoit pas, il accélère le rythme, le tempo, afin d'accentuer son propos. La chanson a une place importante dans Le Mariage de Figaro, que ce soit dans ma pièce ou dans celle de l'auteur, je fais notamment référence au ballet final. Le dernier point concerne la fin du monologue. On passe d'une situation particulière à une situation générale, la tirade prend un sens assez philosophique. Figaro appelle à une prise de conscience, le spectateur est invité à se questionner lui-même. C'est pour cette raison que mon Figaro descend de scène et marche dans l'allée principale, afin de créer un rapprochement entre lui et le public.
J'ai décidé de transposer le sujet dans une autre époque. Ma mise en scène diverge de la version originale, mais n'en est pas moins ordinaire. J'ai envisagé l'½uvre sous un autre angle, qui correspond à ma vision personnelle. Et parce que chaque mise en scène est unique, j'ai voulu que la mienne vous interpelle et sollicite votre esprit critique. «Pourquoi les hippies ? ». Mais voyons... c'est pour faire parler la critique ! Copie de M.M.

CORPUS DE TEXTES DE REFERENCE
La Folle Journée ou le Mariage de Figaro – pièce représentée le 27 avril 1784
Textes étudiés en classe
Texte 1 : acte 1, scène 1
Texte 2 : acte 1, scène 5
Texte 3 : acte 11, scène 1(en entier)
Texte 4 : acte III, scène 5
Texte 5 : acte III, scène 16
Texte 6 : acte V, scène 3
ACTE I, scène 1
FIGARO: Dix-neuf pieds sur vingt-six.
SUZANNE: Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau ; le trouves-tu mieux ainsi ?
FIGARO lui prend les mains: Sans comparaison, ma charmante. Oh ! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d'une belle fille, est doux, le matin des noces, à l'½il amoureux d'un époux !
SUZANNE se retire: Que mesures-tu donc là, mon fils ?
FIGARO: Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que Monseigneur nous donne aura bonne grâce ici.
SUZANNE: Dans cette chambre ?
FIGARO: Il nous la cède.
SUZANNE: Et moi je n'en veux point.
FIGARO : Pourquoi ?
SUZANNE: Je n'en veux point.
FIGARO. Mais encore ?
SUZANNE: Elle me déplaît.
FIGARO: On dit une raison.
SUZANNE: Si je n'en veux pas dire ?
FIGARO: Oh ! quand elles sont sûres de nous !
SUZANNE: Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es‑tu mon serviteur, ou non ?
FIGARO: Tu prends de l'humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si Madame est incommodée, elle sonnera de son côté ; zeste ! en deux pas, tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose ? il n'a qu'à « tinter » du sien ; crac ! en trois sauts me voilà rendu.
SUZANNE : Fort bien ! mais, quand il aura «tinté » le matin pour te donner quelque bonne et longue commission, zeste ! en deux pas il est à ma porte, et crac ! en trois sauts...
FIGARO: Qu'entendez-vous par ces paroles ?
SUZANNE: Il faudrait m'écouter tranquillement.
FIGARO: Eh qu'est-ce qu'il y a ? Bon Dieu !
SUZANNE : Il y a, mon ami, que las de courtiser les beautés des environs, Monsieur le Comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ; c'est sur la tienne, entends‑tu, qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. Et c'est ce que le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter, me répète chaque jour, en me donnant . leçon.
FIGARO: Bazile ! ô mon mignon ! si jamais volée de bois vert appliquée sur une échine a dûment redressé la moelle épinière à quelqu'un...
SUZANNE : Tu croyais, bon garçon ! que cette dot qu'on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ?
FIGARO :J'avais assez fait pour l'espérer.
SUZANNE : Que les gens d'esprit sont bêtes
FIGARO: On le dit.
SUZANNE: Mais c'est qu'on ne veut pas le croire.
FIGARO: On a tort.
SUZANNE: Apprends qu'il la destine à obtenir de moi, secrètement, certain quart d'heure, seul à seule, qu'un ancien droit du seigneur'... Tu sais s'il était triste !
FIGARO : Je le sais tellement que, si Monsieur le Comte, en se mariant, n'eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t'eusse épousée dans ses domaines.
SUZANNE: Eh bien! s'il l'a détruit, il s'en repent; et c'est de ta fiancée qu'il veut le racheter en secret aujourd'hui.
FIGARO, se frottant la tête : Ma tête s'amollit de surprise ; et mon front fertilisé...
SUZANNE : Ne le frotte donc pas !
Figaro : Quel danger ?
Suzanne , riant : S'il y venait un petit bouton ; des gens superstitieux...
FIGARO : Tu ris, friponne ! Ah ! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur , de le faire donner dans un bon piège, et d'empocher son or !
Texte 2 - ACTE I Scène 5
MARCELINE, BARTHOLO, SUZANNE.
SUZANNE, un bonnet de femme avec un large ruban dans la main, une robe de femme sur le bras: L'épouser ! l'épouser!qui donc ? Mon Figaro ?
MARCELINE, aigrement: Pourquoi non ? Vous l'épousez bien !
BARTHOLO, riant: Le bon argument de femme en colère ! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de vous posséder.
MARCELINE: Sans compter Monseigneur dont on ne parle pas.
SUZANNE, une révérence: Votre servante, Madame ; il y a toujours quelque chose d'amer dans vos propos.
MARCELINE, une révérence: Bien la vôtre, Madame; où donc est l'amertume ? N'est-il pas juste qu'un libéral seigneur partage un peu la joie qu'il procure à ses gens ?
SUZANNE: Qu'il procure ?
MARCELINE: Oui, Madame.
SUZANNE : Heureusement la jalousie de Madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont légers.
MARCELINE : On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de Madame.
SUZANNE: Oh ! cette façon, Madame, est celle des dames savantes .
MARCELINE : Et l'enfant ne l'est pas du tout ! Innocente, comme un vieux juge !
BARTHOLO, attirant Marceline : Adieu, jolie fiancée de notre Figaro.
MARCELINE, une révérence: L'accordée, secrète de Monseigneur.
SUZANNE, une révérence: Qui vous estime beaucoup, Madame.
MARCELINE, une révérence: Me fera-t-elle aussi l'honneur de me chérir un peu, Madame ?
SUZANNE, une révérence: À cet égard, Madame n'a rien à désirer.
MARCELINE, une révérence : C'est une si jolie personne que Madame!
SUZANNE, une révérence: Eh ! mais assez pour désoler Madame.
MARCELINE, une révérence: Surtout bien respectable !
SUZANNE, une révérence: C'est aux duègnes à l'être.
MARCELINE, outrée: Aux duègnes ! aux duègnes !
BARTHOLO, l'arrêtant: Marceline !
MARCELINE : Allons, docteur; car je n'y tiendrais pas. Bonjour, Madame. (Une révérence.)
Texte 3 : acte II, scène 1
SUZANNE, LA COMTESSE entrent par la porte à droite.
LA COMTESSE se jette dans une bergère.
‑ Ferme la porte, Suzanne, et conte-moi tout, dans le plus grand détail.
SUZANNE. ‑ Je n'ai rien caché à Madame.
LA COMTESSE. ‑ Quoi, Suzon, il voulait te séduire ?
SUZANNE. ‑ Oh ! que non. Monseigneur n'y met pas tant de façon avec sa servante: il voulait m'acheter.
LA COMTESSE ‑Et le petit page était présent ?
SUZANNE. ‑ C'est-à-dire, caché derrière le grand fauteuil. II venait me prier de vous demander sa grâce.
LA COMTESSE. ‑ Eh ! pourquoi ne pas s'adresser à moi-même; est-ce que je l' aurais refusé, Suzon ?
SUZANNE. ‑ C'est ce que j'ai dit: mais ses regrets de partir, et surtout de quitter Madame ! Ah ! Suzon, qu'elle est noble et belle ! mais qu'elle est imposante !
LA COMTESSE. – Est-ce que j'ai cet air-là, Suzon ? moi qui l'ai toujours protégé.
SUZANNE. ‑ Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais, il s'est jeté dessus...
LA COMTESSE, souriant. ‑ Mon ruban ?... quelle enfance !
SUZANNE. ‑ J'ai voulu le lui ôter ; Madame, c'était un fou ; ses yeux brillaient... Tu ne l'auras qu'avec ma vie, disait-il, en forçant sa petite voix douce et grêle.
LA COMTESSE, rêvant. ‑ Eh bien, Suzon ?
SUZANNE. ‑ Eh bien, Madame, est-ce qu'on peut faire finir ce petit démon-là ? Ma marraine par-ci ; je voudrais bien par l'autre ; et parce qu'il n'oserait seulement baiser la robe de Madame, il voudrait toujours m'embrasser, moi.
LA COMTESSE, rêvant. ‑ Laissons... laissons ces folies. Enfin, ma pauvre Suzanne, mon époux a fini par te dire ?
SUZANNE. ‑ Que si je ne voulais pas l'entendre, il allait protéger Marceline.
LA COMTESSE se lève et se promène, en se servant fortement de l'éventail. ‑ Il ne m'aime plus du tout.
SUZANNE. ‑ Pourquoi tant de jalousie ?
LA COMTESSE. ‑ Comme tous les maris, ma chère ! uniquement par orgueil. Ah, je l'ai trop aimé ! je l'ai lassé de mes tendresses, et fatigué de mon amour ; voilà mon seul tort avec lui : mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider : viendra-t-il ?
SUZANNE. ‑ Dès qu'il verra partir la chasse.
LA COMTESSE, se servant de l'éventail. ‑ Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici ! ...
SUZANNE. ‑ C'est que Madame parle et marche avec action.
Elle va ouvrir la croisée du fond
LA COMTESSE, rêvant longtemps. ‑ Sans cette constance à me fuir... Les hommes sont bien coupables !
SUZANNE crie de la fenêtre. ‑ Ah ! voilà Monseigneur qui traverse à cheval le grand potager, suivi de Pédrille, avec deux, trois, quatre lévriers.
LA COMTESSE. – Nous avons du temps devant nous. (Elle s'assied.) On frappe, Suzon ?
SUZANNE court ouvrir en chantant. – Ah, c'est mon Figaro ! ah, c'est mon Figaro !
Texte 4 : acte III, scène 5
LE COMTE, FIGARO.
FIGARO, à part. ‑ Nous y voilà.
LE COMTE. S'il en sait par elle un seul mot...
LE COMTE. Je lui fais épouser la vieille.
FIGARO, à part. ‑ Les amours de monsieur Bazile ?
LE COMTE... Et voyons ce que nous ferons de la jeunesse.
FIGARO, à part. ‑ Ah ! ma femme, s'il vous plaît.
LE COMTE se retourne. ‑ Hein ? quoi ? qu'est-ce que c'est ?
FIGARO s'avance. ‑ Moi, qui me rends à vos ordres.
LE COMTE. ‑ Et pourquoi ces mots ?
FIGARO. ‑ Je n'ai rien dit.
LE COMTE répète. ‑Ma femme, s'il vous plaît ?
FIGARO. ‑ C'est... la fin d'une réponse que je faisais : Allez le dire à ma femme, s'il vous plaît.
LE COMTE se promène. ‑ Sa femme !... Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter Monsieur, quand je le fais appeler ?
FIGARO, feignant d'assurer son habillement. ‑ Je m'étais sali sur ces couches, en tombant; je me changeais.
LE COMTE. – Faut-il une heure ?
FIGARO. ‑ Il faut le temps.
LE COMTE. ‑ Les domestiques ici... sont plus longs à s'habiller que les maîtres !
FIGARO. ‑ C'est qu'ils n'ont point de valets pour les y aider.
LE COMTE. ‑ ... Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger inutile, en vous jetant...
FIGARO. ‑ Un danger ! on dirait que je me suis engouffré tout vivant...
LE COMTE. ‑ Essayez de me donner le change en feignant de le prendre, insidieux valet ! vous entendez fort bien que ce n'est pas le danger qui m'inquiète, mais le motif.
FIGARO. ‑ Sur un faux avis, vous arrivez furieux renversant tout, comme le torrent de la Morena ; vous cherchez un homme, il vous le faut, ou vous allez briser les portes, enfoncer les cloisons! je me trouve là par hasard, qui sait dans votre emportement si...
LE COMTE, interrompant. ‑ Vous pouviez fuir par l'escalier.
FIGARO. – Et vous, me prendre au corridor.
LE COMTE, en colère. – Au corridor ! (A part) Je m'emporte, et nuis à ce que je veux savoir.
FIGARO, à part. – Voyons-le venir, et jouons serré.
LE COMTE, radouci. – Ce n'est pas ce que je voulais dire, laissons cela. J'avais ... oui, j'avais quelque envie de t'emmener à Londres, courrier de dépêches... mais toutes réflexions faites...
FIGARO. – Monseigneur a changé d'avis ?
LE COMTE. ‑ Premièrement, tu ne sais pas l'anglais.
FIGARO. ‑ Je sais God-dam.
LE COMTE. ‑ Je n'entends pas.
FIGARO. ‑ Je dis que je sais God-dam.
LE COMTE. ‑ Hé bien ?
FIGARO. ‑ Diable ! c'est une belle langue que l'anglais ; il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. – Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras ? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon (Il tourne la broche.), God-dam ! on vous apporte un pied de boeuf salé sans pain. C'est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d'excellent bourgogne ou de clairets ? rien que celui-ci (On débouche une bouteille.), God-dam! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction !
Rencontrez‑vous une de ces jolies personnes qui vont menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches ? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur. Preuve qu'elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue ; et si Monseigneur n'a pas d'autre motif de me laisser en Espagne...
Texte 5 : acte III, scène 16
BARTHOLO. ‑ Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable!
MARCELINE, s'échauffant par degrés. ‑ Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je n'entends pas nier mes fautes, ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu'il est dur de les expier après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent, pendant que la misère nous poignarde , que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés ? Tel nous juge si sévèrement, qui peut-être en sa vie a perdu dix infortunées !
FIGARO. ‑ Les plus coupables sont les moins généreux ; c'est la règle.
MARCELINE, vivement. Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c'est vous qu'il faut punir des erreurs de mie jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes: on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe.
FIGARO, en colère. –Ils font broder jusqu'aux soldats !
MARCELINE, exaltée. –Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes : ah, sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur, ou pitié !
FIGARO. ‑ Elle a raison !
Texte 6 : acte V, scène 3
Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (II se rassied.)
Las de nourrir un pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose ; je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et, croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s'élever contre moi, mille pauvres diables à la feuille ; on me supprime; et me voilà derechef sans emploi ! ‑ Le désespoir m'allait saisir; on pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde ; et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis laissant la fumée aux sots qui s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville; il me reconnaît, je le marie; et pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne ! intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme, au moment d'épouser ma mère, mes parts m'arrivent à la file. (Il se lève en s'échauffant.) On se débat ; c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi ; non, ce n'est pas nous ; eh mais qui donc ? (Il retombe assis.) Ô bizarre suite d'événements ! Comment cela m'est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d'autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaieté me l'a permis ; encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m'occupe: un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu'il plaît à la fortune ! ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices ! orateur selon le danger, poète par délassement, musicien par occasion, amoureux par folles bouffées, j'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite et, trop désabusé... Désabusé !... Désabusé !... Suzon, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments !... J'entends marcher... on vient. Voici l'instant de la crise.
Il se retire près de la première coulisse à sa droite.
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