Texte d'invention en classe de première.
Matei Visniec, Théâtre décomposé ou L'homme-poubelle - spectacle-dialogue de monologues (extrait de “Voix dans la lumière aveuglante” – 2014).
Sujet proposé : Le club théâtre de votre établissement prépare un spectacle de fin d'année avec à l'affiche « Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! » de Matéi Visniec. Le metteur en scène et animateur de cet atelier théâtre donne des consignes et des conseils pour mettre le texte en jeu. Vous écrivez les propos qu'il adresse aux lycéens et lycéennes qui doivent interpréter les rôles de ce sketch théâtral.
Liens utiles :
http://www.dailymotion.com/video/x2zr37q
http://bmirgain.skyrock.com/3233363719-FICELLE-FICELLE-FICELLE-MATEI-VISNIEC-LA-BOETIE-Etude-litteraire.html
http://bmirgain.skyrock.com/3248265226-VISNIEC.html
http://bmirgain.skyrock.com/3222273247-MATEI-VISNIEC-Le-theatre-decompose-de-Visniec-Etude-litteraire-de-L.html
Texte support de l'écriture d'invention :
Matei Visniec, Théâtre décomposé ou L'homme-poubelle - spectacle-dialogue de monologues (extrait de “Voix dans la lumière aveuglante” – 2014).
Voix dans la lumière aveuglante (I)
LE PREMIER. Dites ficelle, Monsieur !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Etrange. Pourquoi il ne veut pas ?
LE TROISIEME. Mais je veux.
LE DEUXIEME. Je ne sais pas. Il s'en fout tout simplement.
LE PREMIER. Pourquoi refusez-vous de dire ficelle ? Jusqu'où pensez-vous pouvoir pousser ma générosité ? Jusqu'où faut-il que j'avale tout ça?
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Il va le regretter.
LE DEUXIEME. Vous allez le regretter.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Eh bien, ça ne peut plus continuer comme ça.
LE PREMIER. Tous ceux qui sont passés avant vous ont dit ficelle. C'est bon à savoir.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ils ont dit ficelle et ils sont maintenant sains et saufs. Tous.
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle.
[...]
LE DEUXIEME. Vous verrez, après quelques jours vous allez quand même dire ficelle.
LE PREMIER. Il y a des gens qui ont dit ficelle après une semaine.
LE DEUXIEME. Il y a des gens qui ont dit ficelle après un an.
LE PREMIER. Ou après dix ans.
LE DEUXIEME. Ou après vingt ans.
LE PREMIER. Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle.
LE DEUXIEME. Je vous jure que vous allez dire ficelle un beau jour.
LE TROISIEME. Ficelle... ficelle... ficelle...
LE PREMIER. C'est dommage pour un homme aussi jeune que vous...
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous allez vous ruiner et c'est bien dommage pour un homme aussi bien que vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Elle vit encore, votre mère ?
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ce sera dommage pour votre mère aussi.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Des frères, vous en avez? Une s½ur ? Ce sera dommage pour votre s½ur.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous n'aurez plus jamais une chance pareille.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Personne ne se souciera de vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Existence inutile. Passage inutile sur la terre. Rien. Zéro. Néant. Poussière. Précipice. Vide. Ame dégonflée. Voilà !
LE TROISIEME. Ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle.
LE PREMIER. Vous croyez que pour nous c'est facile ?
LE DEUXIEME. Vous croyez que peut-être nous ne voulons pas la même chose?
LE PREMIER. Nous avons tous le même but, mettez-vous bien ça dans votre tête.
LE DEUXIEME. Pensez à ce que vous voulez, mais dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle...
LE DEUXIEME. Fermez les yeux et dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ?
LE TROISIEME. Je peux.
LE PREMIER. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Ficelle.
LE DEUXIEME. Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Ficelle.
LE PREMIER. Mettez-vous sur le ventre et pensez ficelle.
LE TROISIEME. Oui, oui, oui.
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Hein ? Pensez! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez...
LE PREMIER. Pensez, pensez... Ficelle... Ficeeelle... Ficeeelle...
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Vous pensez ou non ?
LE PREMIER. Il pense ou il ne pense pas?
LE DEUXIEME. Il ne pense pas.
LE PREMIER. Il ne pense pas ?
LE TROISIEME. (en s'étouffant) Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !
Voix dans la lumière aveuglante (I)
LE PREMIER. Dites ficelle, Monsieur !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Etrange. Pourquoi il ne veut pas ?
LE TROISIEME. Mais je veux.
LE DEUXIEME. Je ne sais pas. Il s'en fout tout simplement.
LE PREMIER. Pourquoi refusez-vous de dire ficelle ? Jusqu'où pensez-vous pouvoir pousser ma générosité ? Jusqu'où faut-il que j'avale tout ça?
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Il va le regretter.
LE DEUXIEME. Vous allez le regretter.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Eh bien, ça ne peut plus continuer comme ça.
LE PREMIER. Tous ceux qui sont passés avant vous ont dit ficelle. C'est bon à savoir.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ils ont dit ficelle et ils sont maintenant sains et saufs. Tous.
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle.
[...]
LE DEUXIEME. Vous verrez, après quelques jours vous allez quand même dire ficelle.
LE PREMIER. Il y a des gens qui ont dit ficelle après une semaine.
LE DEUXIEME. Il y a des gens qui ont dit ficelle après un an.
LE PREMIER. Ou après dix ans.
LE DEUXIEME. Ou après vingt ans.
LE PREMIER. Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle.
LE DEUXIEME. Je vous jure que vous allez dire ficelle un beau jour.
LE TROISIEME. Ficelle... ficelle... ficelle...
LE PREMIER. C'est dommage pour un homme aussi jeune que vous...
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous allez vous ruiner et c'est bien dommage pour un homme aussi bien que vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Elle vit encore, votre mère ?
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ce sera dommage pour votre mère aussi.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Des frères, vous en avez? Une s½ur ? Ce sera dommage pour votre s½ur.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous n'aurez plus jamais une chance pareille.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Personne ne se souciera de vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Existence inutile. Passage inutile sur la terre. Rien. Zéro. Néant. Poussière. Précipice. Vide. Ame dégonflée. Voilà !
LE TROISIEME. Ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle.
LE PREMIER. Vous croyez que pour nous c'est facile ?
LE DEUXIEME. Vous croyez que peut-être nous ne voulons pas la même chose?
LE PREMIER. Nous avons tous le même but, mettez-vous bien ça dans votre tête.
LE DEUXIEME. Pensez à ce que vous voulez, mais dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle...
LE DEUXIEME. Fermez les yeux et dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ?
LE TROISIEME. Je peux.
LE PREMIER. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Ficelle.
LE DEUXIEME. Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Ficelle.
LE PREMIER. Mettez-vous sur le ventre et pensez ficelle.
LE TROISIEME. Oui, oui, oui.
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Hein ? Pensez! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez...
LE PREMIER. Pensez, pensez... Ficelle... Ficeeelle... Ficeeelle...
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Vous pensez ou non ?
LE PREMIER. Il pense ou il ne pense pas?
LE DEUXIEME. Il ne pense pas.
LE PREMIER. Il ne pense pas ?
LE TROISIEME. (en s'étouffant) Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !

Synthèse des copies rendues par les élèves, pour les éléments divers de mise en scène de ce sketch :
Comédiens et costumes
Comédiens et costumes
*victime à genoux (ou à plat ventre, ou affalée sur une chaise, laissée en plan sur le sol) avachie, timorée, hâve, visage cadavérique, teint blafard avec cernes affreux ; corps roulé dans une bâche, dans un coffre de voiture, dans un sac en toile de jute, ou empêtré dans une camisole de force ; débardeur ensanglanté, marcel de jersey blanc en loques, lacets défaits, prisonnier menotté à un radiateur
*bourreaux au crâne rasé, au visage découvert ou avec cagoules, acteurs au bord du plateau, tortionnaires corrompus genre bistrotier crapuleux, sans foi ni loi, agents de sécurité véreux à la voix rocailleuse, commanditaires mafieux à l'arrogance rigide, maffiosi siciliens avec chapeau Borsalino en feutrine noire, mercenaires aguerris à la voix cinglante, prédicateurs barbus fanatisés
* gabardine d'agent de police ou blouson noir, feldgrau vert-de-gris, treillis avec holster cuir, étui de poignard et ceinturon de combat militaire
*gilet fluorescent, bottes-rangers, lunettes noires à la « Men in Black »
*bidasses crasseux, garnisaires avec guêtres, caïds musclés avec taser
Accessoires, ustensiles : un spectacle de la cruauté inimaginable...
*martinet fouet à lanières cloutées, matraque, bidons à essence
*révolver à la ceinture, pistolet à billes, battes de base-ball, scie égoïne
*gants de latex, ou en caoutchouc de couleur noire, coups de poing américain avec pointes en acier inoxydable, torche électrique, scotch
*oreiller pour étouffer les cris du supplicié, seau d'eau glacée sous la table, annuaire téléphonique ou Bottin pour donner des coups sur la tête, cloueuse agrafeuse pneumatique
*kit du tortionnaire, guéridon avec scalpels, ciseaux, machette, seringues (film « Marathon Man », trousseau du médecin nazi Christian Szell).
*fleur de marguerite géante en plastique souple (jeu de l'effeuillage de la marguerite pétale après pétale, pour un compte à rebours d'augure non pas érotique, mais traumatique et tragique)
Décor désertique, terrifiant, côté cour et côté jardin
*toile de fond avec maquette d'un mur de pierre et barreaux de prison, fausse toile d'araignée géante en coton, tabouret de bar inox
* plateau de scène jonché de chaînes à boulets avec cadenas, ou de cordages entrelacés, tronc d'arbre résiné, en polystyrène extrudé
*drapeau mosaïqué, avec croix gammée, svastikas dextrogyre pour symboliser une intoxication collective par l'idéologie
* panoplie du camp retranché : garage en tôle, avec sol bitumeux et encombré de poubelles à ordures (rappel du titre de la pièce de Visniec « L'homme-poubelle »), box d'isolement avec sol carrelé, grilles de sécurité, crochets de boucherie, cellule de dégrisement insalubre
*open space exsangue avec bureau métallique et sièges en skaï noir, ou box de salle d'audience, ou garde à vue, mise en quarantaine dans une cave délabrée, sale et humide, soupirail à pierre coulissante
*tente militaire couleur kaki, avec tenues de camouflage, dernier modèle de fusil d'assaut Kalachnikov AK-12
*entrepôt désaffecté, usine démantelée, laissée à l'abandon
Lumières et sonorisations
*projecteurs à lentille, couleur tamisée de fond avec lumière blanche aveuglante en éclairage douche sur la victime, ou bien type contre-jour
* rouge sang avec contrechamp opaque, spots à effets arrosants pour installer une atmosphère macabre, angoissante, un climat hormonal
*halos de lumières sanguines grâce à un cyclorama pour nappages d'ambiance qui devient de plus en plus crépusculaire (blinders, bananes)
*bruitages de pas humains, claquement de talons de bottes, sons métalliques ou bien tic-tac d'une horloge
*dernière réplique « ficelle ! ficelle ! ficelle ! » fredonnée sur le mode d'une folie délirante, jusqu'au tomber de rideau
*musique d'ambiance (celle de l'hôpital psychiatrique dans le film de Forman (« One Flew over the Cuckoo's Nest » - « Vol au-dessus d'un nid de coucou » avec Jack Nicholson) ou orchestrale (celle de Bernard Hermann dans « Psychose » de Hitchcock, musique angoissante avec pizzicati à coups d'archet au violon et cuivres menaçants).
https://www.youtube.com/watch?v=qMTrVgpDwPk
*Autres suggestions, la « Danse macabre » ou la « Symphonie N° 3 » de Camille Saint-Saens, ou la 9° symphonie de Beethoven comme dans le film « Orange mécanique » de Stanley Kubrick (« A Clockwork Orange » - 1971 – musique de la compositrice Wendy Carlos).
https://www.youtube.com/watch?v=YyknBTm_YyM
https://www.youtube.com/watch?v=P2wNAWBPFiI
https://www.youtube.com/watch?v=XnAfBJZ-h2I
Voir aussi le même jeu de répétition dans le film « Marathon man » de John Schlesinger (1976) avec Dustun Hoffman et Laurence Olivier (« is it safe ? is it safe ? ».
http://filmvf.ws/marathon-man-streaming.html
Une première copie de la classe...
Metteur en scène
- Bonjour à tous ! Nous allons préparer aujourd'hui même la pièce de théâtre «Ficelle» de Matei Visniec.
(S'adressant à Alexandre)
Toi, Alexandre tu prendras le rôle du « premier ». Joue ce personnage de façon à le montrer sous son plus mauvais jour. Je veux qu'il soit sans pitié, sadique à souhait, qu'il ait un plaisir intense à torturer le troisième personnage.
(Regardant Thibaud)
Thibaud, tu prendras le deuxième personnage. Prouve que ce personnage fait semblant de ne pas aimer voir souffrir les gens. Il y a d'ailleurs deux ou trois répliques où il faut que tu montres que ce personnage incite « le troisième » à dire « ficelle » afin qu'il ne lui arrive rien.
(Thibaud commençant à s'angoisser)
Mais ne t'inquiète pas pour cela, nous reverrons ce passage ensemble dans quelques instants. Prends un ton dissuasif !
(Se tournant vers Oscar)
Quand à toi Oscar, tu prendras le rôle du troisième personnage. Je veux que, au début, tu le fasses passer pour une victime innocente, avec une petite voix qui subit la situation sans comprendre. Puis vers la fin de la pièce, il s'énerve. Il faut montrer qu'il est à bout ; il hurle de douleur, de désespoir, il est épuisé de ne pas pouvoir se faire comprendre.
(Sort de la salle puis revient avec trois costumes)
- Alexandre tu prendras le costume noir, symbole de ta méchanceté, de ton impureté. Thibaud, tu porteras le costume gris pour montrer aux spectateurs que tu parais plus neutre, ni gentil, ni méchant. Enfin Oscar tu t'habilleras en blanc, signe de l'innocence, de la pureté.
(Les acteurs partent s'habiller et reviennent)
- Bien, maintenant nous pouvons commencer à répéter !!
(Le metteur en scène les écoute jouer la pièce une première fois sans les interrompre)
Alexandre il faut que le ton soit plus directif, avec un léger sourire en coin. Quand tu dis « Il y a des gens qui ont dit ficelle après une semaine », le ton doit être amusant. Tu dois articuler cette réplique plus lentement. Ensuite dans « Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle », je veux que le mot « impossible » soit plus accentué ainsi que le mot « personne » dans le passage « Personne ne souciera de vous ». Après, à la ligne 40 de la pièce, le ton doit être beaucoup plus percutant. Thibaud, le ton était très bien mis, rien à redire, continue comme cela. Oscar, lorsque tu prononces ficelle, de temps en temps, accentue les syllabes du mot comme cela Fi-celle ! Ensuite quand tu répètes une dizaine de fois le mot « ficelle », à la ligne 41, dis-le très vite et ton dernier « ficelle », hurle-le, comme si tu souffrais de douleur. Nous allons le refaire une fois, puis après nous attaquerons la mise en scène.
(Les acteurs jouent. Le metteur en scène les écoute, très attentif aux moindres paroles)
Bon il y a encore du travail mais ce n'est pas mauvais pour un début. Alors au niveau de la mise en scène, je veux que « le troisième » soit allongé sur le dos, par terre et qu'il soit ligoté au niveau des mains et des pieds. « Le deuxième » sera assis à l'envers de la chaise, se rapprochant de la tête du « troisième ».
(Il prend une chaise en bois et la place au milieu de la scène)
- Alexandre, tu marcheras autour de la victime et aux alentours, il faut que tu occupes tout l'espace. Là-bas, sur le côté droit de la scène, il y aura une table en bois avec du gros scotch posé dessus.
(Se tournant vers l'élève chargé des accessoires)
Mettez-moi cela en place s'il vous plait.
(Revenant à ses élèves)
Il n'y a point d'autres décors, le fond sera noir. C'est donc pour cela Alexandre, que tu devras bouger, pour que l'on te remarque. Alexandre et Thibaud, je veux que vous jouiez avec votre corps, avec vos mains. Oscar, en gardant le même ton que je t'ai conseillé tout à l'heure, je veux que quand tu hurleras « ficelle ! », tu te débattes de toutes tes forces, essayant sans cesse de te sortir de cette situation par n'importe quel moyen.
(S'adressant à un technicien éclairagiste)
Je veux une lumière tamisée pour montrer l'ambiance sombre de cette pièce. Il faut également qu'il y ait un jeu de lumière clignotante lorsque le « troisième » répond « ficelle ». Lorsqu'Alexandre mettra un bout de scotch à Oscar, Vous mettrez une lumière blanche très vive, très aveuglante. A ce moment, vous lancerez une musique de fond sonore très inquiétante.
(S'adressant à tout le monde)
Voilà, maintenant que j'ai donné toutes mes consignes, c'est à vous de jouer... Bon courage à tous ! Je crois en vous... Copie de M.L.
Une seconde copie
Le metteur en scène
Bonjour, aujourd'hui nous allons mettre en scène la pièce que je vous ai envoyée par mail. Pour commencer, il me faut deux garçons et une fille. Pour la fille, je pensais à Alana ou à Kassia.
(Kassia, hésitante)
Non, je ne préfère pas, je n'en ai pas envie, car ce personnage ne me correspond pas !
(Alana, plus décidée)
Bah moi, je me vois bien en persécutrice.
Le metteur en scène, sur un ton confiant
Donc, Alana, tu dois être une fille très diabolique, intelligente et manipulatrice. Tu utilises une voix sadique et très intense. Une voix que tu ne cesses de gonfler au fur et à mesure de la pièce. Pour la tenue, tu portes une combinaison de couleur peau, assez moulante, pour mettre en avant ta personnalité démoniaque. Tu portes un grand chapeau noir, des gants noirs ainsi que de grosses chaînes autour du cou. Tu ajoutes des bottines à talons hauts.
(Alana, dubitative)
Oui, mais c'est un peu vulgaire non ?
(Le metteur en scène, sûr de ses choix)
En même temps, tu incarnes une femme dominante comme personnage ! Ensuite, pour la gente masculine, il me faut un personnage de petite taille. Donc, je prends Matthieu pour jouer le troisième personnage. Pour le coéquipier d'Alana, j'ai choisi Simon. De toute façon, les garçons, vous êtes un peu forcés d'accepter, car je n'ai pas d'autres choix pour ce casting.
(Simon, interrogeant le metteur en scène)
Comment dois-je jouer mon personnage ?
(Le metteur en scène, un peu agacé)
Vous posez les questions avant que je n'explique les choses, ce n'est pas possible ça !!! Donc, déjà... Matthieu tu joues le troisième personnage, tu adoptes un ton désespéré et très déterminé, tout en suivant l'avancement de la pièce. N'oublie pas que le personnage joue sa vie ! Niveau vestimentaire, tu portes tes habits habituels, donc t-shirt et jeans. Quant à Simon, tu donnes un air niais au second personnage. Tu es un personnage sadique, dominé par la femme-dominatrice Alana. Tu vas avoir un grand travail de mise en voix, mais tu nous as déjà livré un échantillon de ton talent. En ce qui concerne ta tenue, je te vois bien en costume un peu démodé, avec des vêtements flottants. Par contre, il me faut un lieu sombre et confiné pour jouer la scène.
(Alana, confiante)
Dans les escaliers du bâtiment 7 de l'établissement, ça peut être sympa, non ?
(Le metteur en scène, peu convaincu)
On ne peut pas jouer dans des endroits si étroits car le public serait mal installé. Nous allons utiliser les salles d'examen 720 et 721 pour accueillir le public. Par conséquent, nous utiliserons les volets roulants pour assombrir la pièce. Car au début de la scène, le local est plongé dans l'obscurité. Nous utiliserons des lampes à variation de lumière pour augmenter la luminosité au fur et à mesure de la scène. Pour le décor, nous aurons besoin de peu de choses, car il faut rester dans le style épuré de l'écriture de Visniec. J'ai besoin d'un sac en toile de jute pour mettre Matthieu dedans et d'un socle pour la torche, ainsi qu'une chaise de bar. Maintenant que le décor et les personnages sont placés, je vais vous dévoiler un plan chronologique des actions prévues par l'intrigue.
Le début de la scène commence donc dans l'obscurité complète. Alana lance sa réplique. Suit alors l'entrée en scène de Simon portant une torche dans sa main, pour éclairer les lieux. Il tire le sac contenant le corps de Matthieu. Le dialogue se déroule dans ces conditions jusqu'à la réplique « Il va le regretter », là, les lampes à variations de lumière commencent à s'allumer progressivement. Elles possèdent une variation longue. Simon pose alors sa torche sur un socle pour éclairer la scène qui malgré les lumières reste très sombre. Le sac de jute, à cet instant, est au beau milieu du plateau de scène. Alana, elle, reste debout à gauche du sac, donnant les répliques à Simon, l'écoutant et lui répondant avec un ton niais. Simon tourne autour du sac avec un bâton à la main. En disant la réplique « Aller, dites ficelle » il frappe le sac avec son gourdin. Matthieu, qui s'étouffe dans le sac, crie. Alana fait un signe de la main à Simon pour qu'il continue de frapper. Le dialogue continue dans cette atmosphère glauque. Après la tirade « Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle », Simon retire brutalement Matthieu du sac. Matthieu reste ligoté. Simon va chercher un briquet qu'il va allumer. Il approche la flamme du briquet du visage terrorisé de la victime.
La musique « Relaxing Fireplace » que j'ai choisie se met en route pour créer l'atmosphère. Vous pouvez la télécharger pour vous en donner une idée.
https://www.youtube.com/watch?v=e7xYgbsbImA
La victime prononce « Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! » en pleurant et en hurlant. Alana lance ses gants de cuir au visage du supplicié, en vociférant sur un ton menaçant. Deux ou trois répliques s'enchaînent, avant qu'une musique orchestrale https://www.youtube.com/watch?v=K_xjCKeIT6A
La victime prononce « Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! » en pleurant et en hurlant. Alana lance ses gants de cuir au visage du supplicié, en vociférant sur un ton menaçant. Deux ou trois répliques s'enchaînent, avant qu'une musique orchestrale https://www.youtube.com/watch?v=K_xjCKeIT6A
ne vienne introduire une note de douceur. Gros plan sur les larmes de Matthieu qui gémit sous cris de ses bourreaux. Alana se met à genoux devant Matthieu, et en lui tenant le menton elle lui dit : « Existence inutile. Passage inutile sur la terre. Rien. Zéro. Néant. Poussière. Précipice. Vide. Ame dégonflée. Voilà !»
Alana se relève, prend la torche et la dirige vers Matthieu. Alana donne la torche électrique à Simon, il la repose sur le socle. La persécution se poursuit dans le silence. A partir du passage « Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ? », Simon met en geste tout ce que dit Alana pour introduire l'absurde dans la représentation. Jeu de mime qui accompagnera les mots « Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Mmmmsss... ». Alana, profitant de cette situation ridicule, va exiger de se mettre sur le ventre. Simon va pousser des hurlements. Alana accentue ses répliques en étirant la dernière syllabe des mots sur un ton de plus en plus sadique. A partir de « Vous pensez ? Hein ? Pensez! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez... », la lumière s'éteint, la musique reprend. Après la réplique finale « Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! », un bruit sourd coupe la musique. Alana et Simon sortent de la scène, Matthieu reste allongé sur le sol, immobile sur la scène. Attention ! Pour réaliser ces mouvements, vous n'avez que quelques secondes, après la lumière pleins feux s'allume. Avez-vous des questions ?
(Simon, très intrigué)
Mais le personnage est mort ?
(Le metteur en scène, malicieusement)
À toi de créer ton interprétation ! Copie de D.V.
Alana se relève, prend la torche et la dirige vers Matthieu. Alana donne la torche électrique à Simon, il la repose sur le socle. La persécution se poursuit dans le silence. A partir du passage « Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ? », Simon met en geste tout ce que dit Alana pour introduire l'absurde dans la représentation. Jeu de mime qui accompagnera les mots « Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Mmmmsss... ». Alana, profitant de cette situation ridicule, va exiger de se mettre sur le ventre. Simon va pousser des hurlements. Alana accentue ses répliques en étirant la dernière syllabe des mots sur un ton de plus en plus sadique. A partir de « Vous pensez ? Hein ? Pensez! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez... », la lumière s'éteint, la musique reprend. Après la réplique finale « Ficelle ! Ficelle ! Ficelle ! », un bruit sourd coupe la musique. Alana et Simon sortent de la scène, Matthieu reste allongé sur le sol, immobile sur la scène. Attention ! Pour réaliser ces mouvements, vous n'avez que quelques secondes, après la lumière pleins feux s'allume. Avez-vous des questions ?
(Simon, très intrigué)
Mais le personnage est mort ?
(Le metteur en scène, malicieusement)
À toi de créer ton interprétation ! Copie de D.V.
Pour le corrigé de cette écriture d'invention, avec toutes les trouvailles des élèves, relevées dans leurs copies :
Pour les axes de lecture du sketch de Visniec, cliquer :
http://bmirgain.skyrock.com/3285872404-Visniec-Ficelle-Axes-de-lecture-Objet-d-etude-le-theatre.html
CORPUS DE REFERENCE étudié en classe pour l'oral des EAF 2017
OBJET D'ETUDE : LE THEÂTRE
Séquence 2 : groupement de 3 textes
Scènes d'effroi au théâtre, une tragédie sans fin...
Texte 1 : Eugène Ionesco, La Leçon, spectacle représenté au Théâtre de Poche de Paris le 20 février 1951
Texte 1 : Eugène Ionesco, La Leçon, spectacle représenté au Théâtre de Poche de Paris le 20 février 1951
Texte 2 : Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco, 1990
Texte 3 : Matei Visniec, Théâtre décomposé ou L'homme-poubelle - spectacle-dialogue de monologues (tiré de “Voix dans la lumière aveuglante” - 2014).
Thèmes de réflexion abordés en classe
*Un théâtre tragique, mortifère, qui se confronte aux problèmes sociaux et politiques, un questionnement obsédant sur la dénaturation de l'humanité, la déperdition des valeurs, le vacillement des valeurs humaines et le basculement dans la déraison. Un cocktail explosif de haine...
*La volonté des dramaturges de mettre à nu la violence à l'état sauvage, qui enferme les personnages dans un psychodrame cauchemardesque, dans une spirale de malheurs (totalitarisme, violence pulsionnelle et servitude volontaire, l'impossibilité d'une réconciliation).
* Le théâtre, une chambre de torture et d'expériences malsaines : la représentation d'un monde contemporain dans les tourbillons de la violence (le cannibalisme des brutes, la perversité insidieuse des tortionnaires, l'impuissance morale, la manipulation retorse, la criminalité irréversible, les machinations sadiques...).
* Une scénographie de désolation, de cruauté froide où chaque mot se transforme en arrêt de mort (la matérialité du plateau, l'espace dramatique, une présence vocale, charnelle, de la violence morale qui se double de violence physique).
*le langage dramatique (la présence fantomatique de l'indicible, le suspense).
*le point de vue du spectateur sur ce qu'il voit, le spectateur qui regarde en face le basculement dans la barbarie qui règne en prédatrice implacable (l'épaisseur émotionnelle des sensations éprouvées par le spectateur, sensible à la souffrance morale de toux ceux qui sont prisonniers d'un lien de subordination et vivent une solitude absolue).
* Une mise en scène qui ne donne pas dans le réalisme (arrière-plans symboliques des textes), axée sur des chassés-croisés et un rapport de force entre agresseurs et victimes (des personnages cyniques, enfermés dans la bulle de leur perversité, englués dans un dialogue de sourds).
* L'horizon cathartique : le théâtre sert à nous sauver de la perte et à grandir la part d'humanité qui est en nous.
TRAVAUX ECRITS DES ELEVES
*DM Ecriture d'invention : un animateur donne des consignes à des jeunes membres d'un atelier théâtre pour mettre en scène le sketche « Ficelle ! » de Matei Visniec.
*DM Dissertation : « sur scène, le comédien est un solitaire qui a besoin des autres... ». En vous appuyant sur le corpus, sur vos lectures et éventuellement votre expérience de spectateur (ou de comédien), vous discuterez cette affirmation.
Captures streamings video sur YouTube & Dailymotion
*Emission « Faites entrer l'accusé » sur France 2 présentée par C. Hondelatte (« Roberto Succo, le fou » - 2004).
*Ficelle- L'homme poubelle 2011- sketche entier de Matéi Visniec sur Dailymotion
*La Leçon” - Eugène Ionesco (fin de la pièce) et « Roberto Zucco » extraits, joué par l'Atelier Théâtre de l'Ecole Alsacienne – 2010 – (distribution A et B)
* film « I... comme Icare » – H. Verneuil – 1979 (expériences scientifiques de Stanley Milgram sur la soumission à l'autorité)
TEXTE 1 : Eugène Ionesco, La Leçon, 1951.
LE PROFESSEUR - Toute langue, Mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous-en jusqu'à l'heure de votre mort...
L'ELEVE - Oh ! Oui, Monsieur, jusqu'à l'heure de ma mort... Oui, Monsieur...
LE PROFESSEUR - ...et ceci est encore un principe fondamental, toute langue n'est en somme qu'un langage, ce qui implique nécessairement qu'elle se compose de sons, ou... L'ELEVE - Phonèmes...
LE PROFESSEUR J'allais vous le dire.N'étalez donc pas votre savoir.Ecoutez,plutôt.
L'ELEVE - Bien, Monsieur. Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour qu'ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Par conséquent, lorsque vous vous décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez..
L'ELEVE - Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Taisez-vous. Restez assise, n'interrompez pas... Et d'émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales. Comme ceci : regardez : "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", "papi, papa". De cette façon, les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront, voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités. Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse accélérée, ceux-ci s'agripperont les uns aux autres automatiquement, constituant ainsi des syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c'est-à-dire des groupements plus ou moins importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent toujours par succomber, s'écrouler...
L'ELEVE - ... dans les oreilles des sourds.
LE PROFESSEUR - C'est ça, mais n'interrompez pas... et dans la pire confusion...Ou par crever comme des ballons. Ainsi donc, Mademoiselle...(L'Elève a soudain l'air de souffrir). Qu'avez-vous donc ?
L'ELEVE - J'ai mal aux dents, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Ça n'a pas d'importance. Nous n'allons pas nous arrêter pour si peu de chose. Continuons...
L'ELEVE, qui aura l'air de souffrir de plus en plus. - Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - J'attire au passage votre attention sur les consonnes qui changent de nature en liaisons. Les f deviennent en ce cas des v, les d des t, les g des k et vice versa, comme dans les exemples que je vous signale : "trois heures, les enfants, le coq au vin, l'âge nouveau, voici la nuit".
L'ELEVE - J'ai mal aux dents.
LE PROFESSEUR - Continuons.
L'ELEVE - Oui.
TEXTE 2 « Roberto Zucco » de Bernard-Marie Koltès
Tableau II - MEURTRE DE LA MÈRE. - Zucco cogne contre la porte.
LA MÈRE. - Comment t'es-tu échappé ? Quelle espèce de prison est-ce là ?
ZUCCO. - On ne me gardera jamais plus de quelques heures en prison. Jamais. Ouvre donc; tu ferais perdre patience à une limace. Ouvre, ou je démolis la baraque.
LA MÈRE. - Qu'es-tu venu faire ici? D'où te vient ce besoin de revenir? Moi, je ne veux plus te voir, je ne veux plus te voir. Tu n'es plus mon fils, c'est fini. Tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu'une mouche à merde. Zucco défonce la porte.
LA MÈRE. Roberto, n'approche pas de moi.
ZUCCO. - Je suis venu chercher mon treillis.
LA MÈRE. - Ton quoi ?
ZUCCO – Mon treillis : ma chemise kaki et mon pantalon de combat.
LA MÈRE. - Cette saloperie d'habit militaire. Qu'est-ce que tu as besoin de cette saloperie d'habit militaire ? Tu es fou, Roberto. On aurait dû comprendre cela quand tu étais au berceau et te foutre à la poubelle.
ZUCCO. - Bouge-toi, dépêche-toi, ramène-le moi de suite.
LA MÈRE. - Je te donne de l'argent. C'est de l'argent que tu veux. Tu t'achèteras tous les habits que tu veux.
ZUCCO - Je ne veux pas d'argent. C'est mon treillis que je veux.
LA MÈRE - Je ne veux pas, je ne veux pas. Je vais appeler les voisins.
ZUCCO - Je veux mon treillis.
LA MÈRE. - Ne crie pas, Roberto, ne crie pas, tu me fais peur; ne crie pas, tu vas réveiller les voisins. Je ne peux pas te le donner, c'est impossible : il est sale, il est dégueulasse, tu ne peux pas le porter comme cela. Laisse-moi le temps de le laver, de le faire sécher, de le repasser.
ZUCCO. - Je le laverai moi-même. J'irai à la laverie automatique.
LA MÈRE. - Tu dérailles, mon pauvre vieux. Tu es complètement dingue.
ZUCCO. - C'est l'endroit du monde que je préfère. C'est calme, c'est tranquille, et il y a des femmes.
LA MÈRE. - Je m'en fous. Je ne veux pas te le donner. Ne m'approche pas, Roberto. Je porte encore le deuil de ton père, est-ce que tu vas me tuer à mon tour ?
ZUCCO. - N'aies pas peur de moi, maman. J'ai toujours été doux et gentil avec toi. Pourquoi aurais-tu peur de moi? Pourquoi est-ce que tu ne me donnerais pas mon treillis ? J'en ai besoin, maman, j'en ai besoin.
LA MÈRE. - Ne sois pas gentil avec moi, Roberto. Comment veux-tu que j'oublie que tu as tué ton père, que tu l'as jeté par la fenêtre, comme on jette une cigarette ? Et maintenant, tu es gentil avec moi. Je ne veux pas oublier que tu as tué ton père, et ta douceur me ferait tout oublier, Roberto.
ZUCCO. - Oublie, maman. Donne-moi mon treillis, ma chemise kaki et mon pantalon de combat; même sales, même froissés, donne-les moi. Et puis je partirai, je te le jure.
LA MÈRE. - Est-ce moi, Roberto, est-ce moi qui t'ai accouché ? Est-ce de moi que tu es sorti ? Si je n'avais pas accouché de toi ici, si je ne t'avais pas vu sortir, et suivi des yeux jusqu'à ce qu'on te pose dans ton berceau; si je n'avais pas posé, depuis le berceau, mon regard sur toi sans te lâcher, et surveillé chaque changement de ton corps au point que je n'ai pas vu les changements se faire et que je te vois là, pareil à celui qui est sorti de moi dans ce lit, je croirais que ce n'est pas mon fils que j'ai devant moi. Pourtant, je te reconnais, Roberto. Je reconnais la forme de ton corps, ta taille, la couleur de tes cheveux, la couleur de tes yeux, la forme de tes mains, ces grandes mains fortes qui n'ont jamais servi qu'à caresser le cou de ta mère, qu'à serrer celui de ton père, que tu as tué. Pourquoi cet enfant, si sage pendant vingt-quatre ans, est-il devenu fou brusquement ? Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur ce chemin si droit pour te faire tomber dans l'abîme ? Roberto, Roberto, une voiture qui s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la répare pas, Un train qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ses rails. On l'abandonne, on l'oublie. Je t'oublie, Roberto, je t'ai oublié.
ZUCCO. - Avant de m'oublier, dis-moi où est mon treillis.
LA MÈRE. – Il est là, dans le panier. Il est sale et tout froissé. (Zucco sort le treillis.) Et maintenant va-t'en, tu me l'as juré.
ZUCCO. – Oui, je l'ai juré.
Il s'approche, la caresse, l'embrasse, la serre; elle gémit.
Il la lâche et elle tombe, étranglée. Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort.
*« Roberto Zucco » de Bernard-Marie Koltès [1948-1989] – Les Editions de Minuit – 1990 - Cette pièce, achevée à l'automne 1988, a été créée à Berlin en avril 1990.
TEXTE 3 Matei Visniec : L'homme-poubelle - Voix dans la lumière aveuglante (I)
LE PREMIER. Dites ficelle, Monsieur !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER Etrange. Pourquoi il ne veut pas?
LE TROISIEME. Mais je veux.
LE DEUXIEME. Je ne sais pas. Il s'en fout tout simplement.
LE PREMIER. Pourquoi refusez-vous de dire ficelle ? Jusqu'où pensez-vous pouvoir pousser ma générosité ? Jusqu'où faut-il que j'avale tout ça?
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle !
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Il va le regretter.
LE DEUXIEME. Vous allez le regretter.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Eh bien, ça ne peut plus continuer comme ça.
LE PREMIER. Tous ceux qui sont passés avant vous ont dit ficelle. C'est bon à savoir.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ils ont dit ficelle et ils sont maintenant sains et saufs. Tous.
LE DEUXIEME. Allez, dites ficelle.
LE TROISIEME. Ficelle.
[...]
LE DEUXIEME. Vous verrez, après quelques jours vous allez quand même dire ficelle.
LE PREMIER. Il y a des gens qui ont dit ficelle après une semaine.
LE DEUXIEME. Il y a des gens qui ont dit ficelle après un an.
LE PREMIER. Ou après dix ans.
LE DEUXIEME. Ou après vingt ans.
LE PREMIER. Il est impossible qu'on ne dise pas ficelle.
LE DEUXIEME. Je vous jure que vous allez dire ficelle un beau jour.
LE TROISIEME. Ficelle... ficelle... ficelle...
LE PREMIER. C'est dommage pour un homme aussi jeune que vous...
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous allez vous ruiner et c'est bien dommage pour un homme aussi bien que vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Elle vit encore, votre mère ?
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Ce sera dommage pour votre mère aussi.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE DEUXIEME. Des frères, vous en avez? Une s½ur ? Ce sera dommage pour votre s½ur.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Vous n'aurez plus jamais une chance pareille.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Personne ne se souciera de vous.
LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Existence inutile. Passage inutile sur la terre. Rien. Zéro. Néant. Poussière. Précipice. Vide. Ame dégonflée. Voilà !
LE TROISIEME. Ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle, ficelle.
LE PREMIER. Vous croyez que pour nous c'est facile ?
LE DEUXIEME. Vous croyez que peut-être nous ne voulons pas la même chose?
LE PREMIER. Nous avons tous le même but, mettez-vous bien ça dans votre tête.
LE DEUXIEME. Pensez à ce que vous voulez, mais dites ficelle. LE TROISIEME. Ficelle...
LE DEUXIEME. Fermez les yeux et dites ficelle. LE TROISIEME. Ficelle.
LE PREMIER. Respirez de tous vos poumons. Ouvrez vos oreilles. Essayez de parler avec la bouche fermée. Dites ficelle avec la bouche fermée. Vous pouvez ?
LE TROISIEME. Je peux.
LE PREMIER. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes... Ficelle.
LE DEUXIEME. Regardez-moi ! La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Mmmmsss...
LE TROISIEME. La bouche fermée, les oreilles couvertes, les yeux fermés... Ficelle.
LE PREMIER. Mettez-vous sur le ventre et pensez ficelle.
LE TROISIEME. Oui, oui, oui.
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Hein ? Pensez! Allez, pensez ! Vous pensez ? Allez, pensez...
LE PREMIER. Pensez, pensez... Ficelle... Ficeeelle... Ficeeelle...
LE DEUXIEME. Vous pensez ? Vous pensez ou non ?
LE PREMIER. Il pense ou il ne pense pas?
LE DEUXIEME. Il ne pense pas.
LE PREMIER. Il ne pense pas ?
LE TROISIEME. (en s'étouffant) Ficelle ! Ficelle ! Ficelle !
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