Texte 4 : Acte V Scène 5
Dom Juan, un spectre en femme voilée, Sganarelle.
Le Spectre, en femme voilée
Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.
Sganarelle
Entendez-vous, Monsieur ?
Dom Juan
Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher.
Dom Juan
Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.
Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.
Sganarelle
Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ?
Dom Juan
Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.
Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.
Dom Juan
Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi.
Le Spectre, en femme voilée
Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.
Sganarelle
Entendez-vous, Monsieur ?
Dom Juan
Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher.
Dom Juan
Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.
Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.
Sganarelle
Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ?
Dom Juan
Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.
Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.
Sganarelle
Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.
Dom Juan
Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi.
Scène 6 La statue du commandeur, Dom Juan, Sganarelle.
La Statue
Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.
Dom Juan
Oui. Où faut-il aller ?
La Statue
Donnez-moi la main.
Dom Juan
La voilà.
La Statue
Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.
Dom Juan
Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !
Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.
Scène 7 Sganarelle
Sganarelle
Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n'y a que moi seul de malheureux. Mes gages ! Mes gages ! Mes gages !
Pour bien comprendre la fin de la pièce, il faut se reporter au fil de l'intrigue, notamment à l'acte III :
Dom Juan et Sganarelle s'égarent dans un bois et demandent leur chemin à un mendiant qui les met en garde contre les brigands. Dom Juan vient en aide à un homme qui est molesté par ceux-ci. La victime n'est autre que Dom Carlos, le propre frère d'Elvire, accompagné de son frère, Dom Alose, et d'une escorte. Ils voulaient venger leur s½ur, mais Dom Alose reconnaît Dom Juan, qu'il voulait tuer. Dom Carlos estime avoir une dette envers Dom Juan et persuade Dom Alose de remettre leur vengeance à plus tard. Dom Juan et Sganarelle reprennent la route quand Dom Juan aperçoit un monument dans cette même forêt. Sganarelle lui apprend que c'est le mausolée du Commandeur. Dom Juan souhaite visiter les lieux.
La seconde partie de la scène V de l'acte III se déroule à l'intérieur de ce sanctuaire qui abrite la statue du Commandeur.
Le tombeau s'ouvre, où l'on voit un superbe mausolée, et la statue du Commandeur.
.......« Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres ? - Vous ne le savez pas ? - Non, vraiment. – Bon ! c'est le tombeau que le Commandeur faisait faire lorsque vous le tuâtes.
– Ah ! tu as raison. Je ne savais pas que c'était de ce côté-ci qu'il était. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j'ai envie de l'aller voir »
.......« Ah! que cela est beau! Les belles statues! le beau marbre! les beaux piliers! Ah! que cela est beau! Qu'en dites-vous, Monsieur ? - Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passé, durant sa vie, d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire ».
On situe le passage et on cerne l'enjeu avant d'annoncer les axes de son explication orale :
Le personnage éponyme de la pièce est invité à un mystérieux rendez-vous avec « la statue » : « Arrêtez, dom Juan. Vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi ». Un rendez-vous qu'il accepte d'ailleurs avec un air détaché : « Oui. Où faut-il aller ? ». Le spectateur ne s'étonne pas de voir Dom Juan affronter, avec une vaillance digne de son caractère, la statue du Commandeur. On peut reprocher bien des turpitudes à ce libertin - bien qu'il ne s'agisse, après tout, que de quelques gaudrioles, ses friponneries ne prêtent pas à conséquence - mais pas son manque de courage. Molière décide de rendre compte des derniers moments d'un Dom Juan solitaire, revêche. Ce pugiliste flamboyant, ayant vendu son âme au diable comme le jugent ses nombreux accusateurs, ne rechigne pas. C'est un « esprit fort », un libre penseur. On l'accuse donc d'activités subversives. Il en faudrait davantage pour décourager ce libertin qui n'en finit pas de ne plus s'en laisser conter. Qui ne cherche à aucun moment de se disculper.
1er axe : une fin crépusculaire, tellurique, qui donne un ton tragique au scénario...
Dom Juan ne cherche en rien à narguer le « Seigneur Commandeur ». Rien ne l'indique dans leur échange (La Statue Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi. Dom Juan Oui. Où faut-il aller ? La Statue Donnez-moi la main. Dom Juan La voilà »). Molière met en scène la rencontre avec la Statue. Il ne prend même pas soin de rappeler qu'elle est enveloppée sous les soieries d'un costume d'empereur (« son habit d'empereur romain » évoqué dans la scène V de l'acte III). On peut imaginer une table dressée pour cette collation dans le mausolée de marbre froid que Sganarelle décrit dans la scène VI de l'acte III (le « tombeau du commandeur »). Au point de départ, rappelons-nous, c'est Dom Juan qui sollicite l'entrevue (« Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande-lui s'il veut venir souper avec moi » - ibid).
Plongé dans l'obscurité d'une nuit ensanglantée, les personnages si pleins de chair et de sang cèdent la place à des feux follets, à des apparitions fantomatiques, surnaturelles. Les dernières scènes de l'acte V nous éloignent de la vraisemblance. Elles nous immergent dans un espace imaginaire intemporel. Le caractère irréel du lieu, du décor le confirme. Cette ambiance toute shakespearienne (on pense à la danse des sorcières au début de la tragédie « Macbeth », publiée en 1623, mais aussi à « Hamlet » édité en 1603) est propice aux spectres, aux revenants qui prédisent aux protagonistes les circonstances de leur mort prochaine. Ou bien qui réclament la réparation d'un préjudice, qui exigent qu'on remédie à une situation. A la fin de l'acte V, tout bascule dans la scène de l'étrange. Celle du repas funéraire au cours duquel les morts ou les spectres incorporels flottent au-dessus des convives.
La présence inquiétante d'une statue ombrageuse à la voix de rocaille tend à incarner l'inflexibilité du châtiment divin. Une image saisissante qui a de quoi faire frémir le public. Sauf que seul le poltron Sganarelle montre de l'effroi. Pas Dom Juan : « Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit ».
Les exclamations apeurées de Sganarelle (« Ah ! Ô Ciel ») témoignent de sa hantise : « Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher [...] Ô Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? ». Le décor changeant, suggéré par les didascalies, est suffisamment oppressant pour que le domestique ressente très fortement une menace. Les apparitions fantomatiques se métamorphosent. Apparaît d'abord un spectre, « en femme voilée ». Puis ce spectre « change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main » (1). La dernière mention didascalique de la scène V de l'acte V indique : « Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper ». Molière ne cherche absolument pas à nous faire croire au réalisme de cette mise en scène, bien au contraire. Il accumule les poncifs et les clichés. Nous sommes en pleine irréalité. La mortelle frayeur de Sganarelle n'a rien de surprenant. Elle est sans surprise, tout au long de la pièce. Le but de Molière est d'inciter le public, non pas à partager cette peur, mais à rire des superstitions de ce domestique pitoyable. Faudrait-il léguer le monde à ce valet ridicule ? Il paraît difficile d'imaginer que Molière s'efforce d'arracher au public une allégeance enthousiaste qu'il prêterait sans ciller à ce pantin ridicule.
Molière hérite dans sa pièce de scénarios déjà écrits, et notamment du canevas de Tirso de Molina (« L'abuseur de Séville et le convive de pierre » - pièce élaborée vers 1625). Son ½uvre renvoie à d'autres origines que sa propre imagination. Il a écrit le scénario au plus près des versions italiennes comme celle de Cicognini (« Il convitato di pietra ») et de tragicomédies françaises (« Le Festin de pierre ou le Fils criminel » de Claude Deschamps de Villiers - 1661). Il s'agit de réécritures explicites, de plagiats. Le dénouement de « Dom Juan » est serti dans un montage à l'à peu près qui reprend des thèmes similaires, les noms des personnages comportant des consonances espagnoles, voire même des formulations, des répliques... En sautant un peu du coq à l'âne tout de même dans son adaptation.
Dom Juan risque de perdre la vie. Menacé par la mort toute proche, il devrait en toute logique renoncer à son sacerdoce athée. Mais il ne le fait pas dans la version de Molière ! Dom Juan se retrouve au milieu d'un tourbillon dans lequel il est aspiré. Sans jamais cesser de défier les forces triomphantes, il tient tête, sans agressivité. Malgré les menaces lourdement appuyées des uns et des autres, le héros s'obstine dans son refus de complaire ou de rendre des comptes à qui que ce soit. Ce qui revient à considérer que Molière fait l'éloge d'une existence qui se complait dans la jouissance.
La mise en scène de Mesguish s'attache dès qu'on la regarde à un spectacle palpitant. Le lupanar lui sert de mausolée. L'image ténébreuse de la faucheuse se double d'une forme d'érotisme inversé. Des odalisques à la beauté troublante se vautrent sur un lit nuptial avec des poses lascives. Elles se jettent sur le corps du héros comme une nuée de vautours. Dévêtues, dansant pieds nus sur la dépouille de Don Juan, elles accaparent l'attention en jouant les contorsionnistes. Ce déshabillé n'a rien à voir avec la mode de l'époque, celle des robes à panier ou des vertugadins. Le metteur en scène Daniel Mesguisch chercherait-il à promouvoir l'émancipation d'une féminité libre ? Cette danse du ventre traduit-elle la volonté de ces courtisanes, de ces elfes dénudées de réduire le héros à l'impuissance ? Dans la version de Mesguisch, qui mêle les digressions érotiques aux frayeurs métaphysiques, la mort du personnage coïncide avec une explosion du plaisir orgasmique.
2° axe : cette tragédie est une critique sociale, une satire antireligieuse
La fin de la pièce est dépourvue de toute drôlerie. Pourquoi ? En fait, tout se passe comme s'il se nouait entre le récepteur du texte (les spectateurs) et l'auteur une sorte de pacte très particulier. Dom Juan est un mari volage qui séduit des fillettes pauvres courant la campagne en sabots, comme Charlotte ou Mathurine. Présenté au mieux comme un inconstant avide de frivolités, au pire comme un cuistre ou un coquin, Dom Juan n'a rien à envier aux écarts de conduite de Louis XIV. Le roi de France est père de trois enfants issus de son mariage avec Marie-Thérèse (le dauphin Louis en 1661, Anne-Elisabeth en 1662, Marie-Anne en 1664). Le roi, lui aussi, ne surmonte pas la tentation. Depuis 1662, il entretient une relation adultère avec Louise de La Vallière (1644-1710), alors âgée de dix-sept ans. Sa maîtresse et favorite déclarée lui a déjà donné deux garçons, Charles (né en décembre 1663, qui sera pris en charge par Colbert) et Philippe (né le 7 janvier 1665, peu avant la représentation de la pièce de Molière), qui tous deux furent baptisés sous une fausse identité. Si l'on se replace dans le contexte de la cour du monarque, toute bruissante de galanteries embrouillées, le personnage de Dom Juan ne dépareille pas. Loin de là.
Sous un autre angle, celui du libertinage d'esprit cette fois, on peut considérer que Dom Juan correspond moins à une personne réelle qu'à une pure projection fantasmatique. Une projection conduisant à une vérité remettant en question tout ce qui constitue le monde de l'époque. L'ultime épisode de l'intrigue n'est pas exempt de clichés qui parent le héros des masque de la damnation. Molière ne pousse pas jusqu'au bout son jeu qui le porte au défi. Il finit par se placer du même point de vue que ses prédécesseurs et reprend la charpente du mythe : « le tonnerre tombe avec grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé ». Il ne va pas plus loin.
Tout ne lui est pas permis, même par le roi Louis XIV.
Soucieux de ne pas justifier la défiance des censeurs, Molière n'a pas d'autre choix que de faire place nette en faisant disparaître son héros. Un effacement décrit par le supplicié lui-même : « Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! ». Pour Molière, le combat est perdu d'avance, il le sait. L'impiété de Dom Juan est clouée au pilori. Il subit les tourments physiques infligés par ses tortionnaires, bible à la main. On aurait tort d'opposer ici le libertinage des m½urs ou sexuel au libertinage de l'esprit, au rationalisme athée. Le libertin mondain ne montre aucune vénération à l'égard du mariage. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que le mariage est un lien sacré et indissoluble aux yeux de l'Eglise. Il est le fondement de la dogmatique religieuse. Dom Juan prend systématiquement à contre-pied les codes établis par l'église chrétienne. Toutes les séquences de l'intrigue théâtrale relatent les étapes d'un procès conduisant à un verdict. D'où ce chassé-croisé fantasmatique de femme voilée, de la faucheuse et de la statue, dont les présences se frôlent dans le couloir de la mort. Tout se déroule comme si la mort du libertin n'était que le rêve des tenants de la doctrine chrétienne. A leurs yeux, le bûcher représente la forme d'exclusion la plus radicale. Le feu est une manière d'éliminer le corps de l'offenseur en le réduisant en cendres. Sganarelle prête sa voix aux magistrats de l'inquisition religieuse : « et je crois que le ciel, qui vous a souffert jusques ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur [...] Ah ! Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne » (scène 4 de l'acte V). Il fait partie des appariteurs qui citent les inculpés devant le tribunal ecclésiastique. Il exerce le rôle du ministère public, il plaide au profit de l'autorité de l'église. On notera toutefois que ni Sganarelle, ni le spectre n'évoquent la figure de Dieu. Censure oblige, c'est le mot « Ciel », employé par métonymie, qui est répété d'une réplique à l'autre (« la miséricorde du Ciel [...] les grâces du Ciel [...] Ciel offensé »). Sganarelle, par sa présence pataude, incarne surtout la domesticité de la pensée. Tout au long de la pièce, il endosse le rôle ridicule de directeur de conscience.
Pour Molière, qui n'est évidemment pas un dévot accroché aux soutanes (il est probablement plus proche des libertins), la liberté rime avec affrontement du néant. Dom Juan est un homme de dissidence qui impose une vision du destin : l'aventure humaine, c'est découvrir ce qu'on ne cherche pas. Pour lui, la liberté coïncide avec le renoncement à prendre appui sur quelque dogme que ce soit. Même si l'abîme s'entrouvre sous ses pieds, peu importe le lieu ou la manière dont les corps sont voués à disparaître. Dans l'épilogue de la pièce, une évidence s'impose pour qui sait lire : le ton n'est pas à la repentance. Dom Juan assume son athéisme avec panache. Il refuse de se conformer aux règles édictées par la chrétienté. Il faut le reconnaître, le personnage en lui-même ne manque pas de charisme. Dans le même temps, le dogmatisme religieux est mis en lumière en tant que refus de partager une autre lecture du monde. Les critiques portées par Dom Juan sur l'hypocrisie religieuse, la vanité des grands, sur les modes sociales sont parfaitement fondées.
Soucieux de ne pas justifier la défiance des censeurs, Molière n'a pas d'autre choix que de faire place nette en faisant disparaître son héros. Un effacement décrit par le supplicié lui-même : « Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! ». Pour Molière, le combat est perdu d'avance, il le sait. L'impiété de Dom Juan est clouée au pilori. Il subit les tourments physiques infligés par ses tortionnaires, bible à la main. On aurait tort d'opposer ici le libertinage des m½urs ou sexuel au libertinage de l'esprit, au rationalisme athée. Le libertin mondain ne montre aucune vénération à l'égard du mariage. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que le mariage est un lien sacré et indissoluble aux yeux de l'Eglise. Il est le fondement de la dogmatique religieuse. Dom Juan prend systématiquement à contre-pied les codes établis par l'église chrétienne. Toutes les séquences de l'intrigue théâtrale relatent les étapes d'un procès conduisant à un verdict. D'où ce chassé-croisé fantasmatique de femme voilée, de la faucheuse et de la statue, dont les présences se frôlent dans le couloir de la mort. Tout se déroule comme si la mort du libertin n'était que le rêve des tenants de la doctrine chrétienne. A leurs yeux, le bûcher représente la forme d'exclusion la plus radicale. Le feu est une manière d'éliminer le corps de l'offenseur en le réduisant en cendres. Sganarelle prête sa voix aux magistrats de l'inquisition religieuse : « et je crois que le ciel, qui vous a souffert jusques ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur [...] Ah ! Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne » (scène 4 de l'acte V). Il fait partie des appariteurs qui citent les inculpés devant le tribunal ecclésiastique. Il exerce le rôle du ministère public, il plaide au profit de l'autorité de l'église. On notera toutefois que ni Sganarelle, ni le spectre n'évoquent la figure de Dieu. Censure oblige, c'est le mot « Ciel », employé par métonymie, qui est répété d'une réplique à l'autre (« la miséricorde du Ciel [...] les grâces du Ciel [...] Ciel offensé »). Sganarelle, par sa présence pataude, incarne surtout la domesticité de la pensée. Tout au long de la pièce, il endosse le rôle ridicule de directeur de conscience.
Pour Molière, qui n'est évidemment pas un dévot accroché aux soutanes (il est probablement plus proche des libertins), la liberté rime avec affrontement du néant. Dom Juan est un homme de dissidence qui impose une vision du destin : l'aventure humaine, c'est découvrir ce qu'on ne cherche pas. Pour lui, la liberté coïncide avec le renoncement à prendre appui sur quelque dogme que ce soit. Même si l'abîme s'entrouvre sous ses pieds, peu importe le lieu ou la manière dont les corps sont voués à disparaître. Dans l'épilogue de la pièce, une évidence s'impose pour qui sait lire : le ton n'est pas à la repentance. Dom Juan assume son athéisme avec panache. Il refuse de se conformer aux règles édictées par la chrétienté. Il faut le reconnaître, le personnage en lui-même ne manque pas de charisme. Dans le même temps, le dogmatisme religieux est mis en lumière en tant que refus de partager une autre lecture du monde. Les critiques portées par Dom Juan sur l'hypocrisie religieuse, la vanité des grands, sur les modes sociales sont parfaitement fondées.
Et puis surtout, on imaginerait d'autres chatoiements à la fin de cette pièce que les jérémiades puériles de Sganarelle : « Mes gages ! mes gages ! mes gages ! » lâche-t-il en rafale à la fin de la scène 6. Drôle de deuil que ce laquais un peu geignard s'oblige à porter. Cet ultime ajustement dans cette scène dernière n'a rien d'insolite. L'insignifiant Sganarelle, rechigné, intéressé, si piètre dans son allure et ses basses préoccupations, ne parle pas d'assez haut pour être crédible. Cette répartie qui ne se montre pas à la hauteur des circonstances profite au propos ou au projet de Molière. On peut considérer que Molière, en insistant sur ces gages impayés, teste en quelque sorte les limites de sa vaillance. En tant qu'auteur dramatique, il risque gros.
En définitive, il fait assister son public non pas à une chute, mais à un triomphe. Sans apaiser en quoi que ce soit la polémique, il rend plus ostensible la résistance de Dom Juan : « Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur [...] Non, non, ile ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir » (scène 5). Jusqu'au bout, Molière n'a de cesse de mettre en valeur le courage et l'opiniâtreté de ses engagements. A aucun moment, le héros tragique ne se laisse questionner par l'irrationnel : « je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit ». Il refuse de s'incliner devant les évidences prétendues d'un miracle.
Cette mise en scène, marquée par le désir de tourner en dérision la sottise et la crédulité des esprits superstitieux, a une vocation pédagogique. Elle contribue à faire de l'auteur de la pièce un pionnier, un précurseur des philosophes du XVIIIème siècle.
Conclusion
Molière n'a pas l'habitude de faire des ronds de jambe à la société de son époque. Là où il fait croire à un divertissement (la pièce nous est présentée comme une « comédie »), il nous fait prendre conscience des enjeux de son spectacle. Le scénario, dépourvu de tout ressort comique, ne cherche pas à être crédible. La fiction fait surgir autour d'elle tout un monde fantasmatique. Points d'éclats de rire partagés dans ce combat lourd de périls pour le héros. La comédie, un spectacle qui prête à rire, devient bien sombre. Il n'en demeure pas moins que Molière ne regarde pas passer les poissons. Il se rit du pouvoir avec son aplomb habituel, nous rappelant que le théâtre a toujours été un espace de débat et de pensée.
Notes
(1) la faucheuse est une allégorie de la mort, qui a été représentée dans les cultures populaires, depuis la lointaine Antiquité, par une figure anthropomorphe (personnification de la Mort sous la forme d'un être humain, d'une entité vivante, d'un squelette, d'un corps décomposé ou momifié, ou de la carcasse osseuse d'un squelettoïde) Dans le folklore occidental, ce squelette porte une toge de couleur noire avec capuche, brandissant parfois, de la main gauche, une grande faux. C'est pourquoi cet être terrifiant, macabre, venu happer les vivants d'un coup de lame est connu sous le nom de la « Grande Faucheuse », ou plus simplement de « La Faucheuse ». Dans la mythologie grecque, la faucille était l'attribut du dieu Cronos (Saturne chez les Romains, le dieu boiteux armé d'une serpette), qui a privé son père Ouranos de ses organes sexuels (cette castration ou émasculation est à l'origine de la naissance de la déesse Aphrodite). Cet outil tranchant reste le symbole par excellence de la mort : c'est avec une faucille que le héros Persée tranche la tête de la Méduse, l'une des trois Gorgones avec Euryale et Sthéno (ses cheveux sont devenus des serpents et son regard pétrifie tous ceux qui le croisent). La faucille sera remplacée par la faux dans l'agriculture, à partir du XVème siècle, ce qui explique pourquoi elle apparaît entre les mains des squelettes à partir de la Renaissance (dans les textes bibliques, il est question de la faucille et non pas d'une faux, les symboles suivent l'évolution des outils et des technologies agricoles). La faux est une image allégorique de l'instrument aveugle qui coupe tout ce qui vit ; dans le jeu de Tarot, la lame de la Mort signifie plutôt la perte des illusions de ce monde. Squelette ambulant décharné ou présentant quelques rares lambeaux de peau et une chevelure absalonienne, hirsute, la Faucheuse incarne la fin absolue et inévitable de la vie, l'aspect périssable et destructible de notre existence. La mort est par nature angoissante, pas étonnant qu'elle soit représentée par un cadavre aux traits effrayants. Le droit de vie et de mort appartient aux dieux, chez les Grecs et les Romains. Les divinités léthifères sont représentées par Zeus (Jupiter), Arès (Mars), Hadès (Pluton), Hécate, Perséphone et Thanatos, fils de la nuit (Nyx) et frère jumeau de Hypnos, dieu du sommeil.
Thanathos, fils d'Erèbe, le dieu des Ténèbres, apparaît sur les sculptures anciennes avec un visage défait et amaigri, les yeux fermés, couvert d'un voile, et tenant une faucille à la main (la vie est moissonnée comme le blé dont on coupe brutalement la tige). On retrouve déjà les traits les plus hideux du squelette associé au thème de la fauchaison. Le squelette à corps de femme est la personnification de la mort, de la putréfaction et de la décomposition : elle arbore, elle affiche un sourire ironique, presque moqueur. La Faucheuse s'avance, comme une sultane : elle a une allure pensive, ce qui peut signifier que le squelette, lui, a franchi le seuil de l'inconnu et qu'il a percé le secret de la disparition. Si l'on en croit le poète berbère né en Numidie, Apulée (II° siècle de notre ère), dans la Rome antique circulaient des statuettes figurant un squelette, censées représenter le dieu psychopompe Hermès (Mercure), le dieu des Enfers. Dans les banquets, on jouait avec des pantins « squelettoïdes » articulés tout en exécutant des danses macabres pour mieux exciter les invités à jouir plus intensément des instants éphémères du plaisir (festine lente, disait Vespasien). Les fées de notre folklore (les Destinées, les Tria Fata) ne sont que les représentations modernes des Parques romaines, elles-mêmes transposition latine des Moires grecques. Assemblées par trois, les fées tirent du fuseau le fil de la destinée humaine, l'enroulent sur le rouet et le coupent de leurs ciseaux. Leurs origines remontent aux Kérès, des divinités infernales de la mythologie grecque, les filles de Nyx, sortes de Walkyries (divinités guerrières de la mythologie nordique au service du dieu Odin) qui happaient les agonisants sur les champs de bataille. Dans la mythologie grecque, les Moires (en grec ancien Μοῖραι, littéralement les « portions de destin assignées à chaque homme ») sont des divinités du Destin implacable. Elles sont assimilées aux trois Parques dans la mythologie romaine. Elles portent chacune un nom : Clotho (Κλωθώ «la Fileuse »), Lachésis (Λάχεσις « la Répartitrice », celle qui enroule le fil autour de la pelote) et enfin Atropos (Ἄτροπος, « l'Implacable », celle qui coupe le fil). Comme les Parques des Romains, elles symbolisent les trois étapes de notre vie : la naissance, la maturité, et la vieillesse suivie de la mort.

(2) définition du mot « libertin » par l'Académie Française
LIBERTIN, -INE n. et adj. XVe siècle. Emprunté du latin libertinus, «affranchi »
Dans la langue classique, désignait une personne faisant profession soit de s'affranchir par la philosophie de l'autorité et des dogmes de la religion, soit de ne pas s'assujettir dans sa conduite aux pratiques et aux règles de la morale chrétienne (on parle dans le premier cas de libertins érudits, dans le second, de libertins de m½urs ; mais il est souvent arrivé que les deux attitudes se soient conjuguées). Les libertins athées et les libertins déistes. La Mothe Le Vayer, Gassendi furent des libertins érudits. Théophile de Viau, Chapelle furent des libertins de m½urs. Le don Juan de Molière est un libertin au sens le plus complet, dans sa pensée et dans sa vie. On a appelé aussi les libertins « esprits forts ». 2. Dans l'usage actuel. Personne de m½urs déréglées, dissolues. Un franc libertin.II. Adj. 1. Dans la langue classique. Qui est propre au libertin. Un courant libertin. Opinions, pensées libertines. Par ext. Qui agit sans contrainte, ne suit aucune règle. Une imagination libertine, vagabonde et sans frein. Humeur libertine. 2. Dans l'usage actuel. Dont la conduite est marquée par le désordre et la licence, dont les m½urs sont dissolues. Il est devenu fort libertin. Par ext. Mener une vie libertine. Des contes, des vers libertins, licencieux. Titre célèbre : L'Ingénue libertine, de Colette (1909).
LIBERTINAGE n. m. XVIIe siècle. Dérivé de libertin.1. Dans la langue classique. Rejet rationaliste ou sceptique des dogmes et des pratiques de la religion. Il faisait profession de libertinage. Le libertinage érudit. Par ext. Fantaisie déréglée d'une personne qui ne s'astreint à aucune règle ; légèreté, inconstance dans les idées. Cet écrivain s'abandonne à un libertinage d'imagination. Il se laisse aller à un libertinage d'esprit qui le fait passer d'un objet à un autre, sans s'arrêter à aucun. 2. Dans l'usage actuel. Dérèglement dans la conduite, dans les m½urs, né du refus des obligations morales. Tomber, vivre dans le libertinage. Un libertinage effréné, scandaleux.
Source :
Autres études sur ce même corpus de textes tirés de la pièce "Dom Juan" :
Liens avec d'autres études sur le libertinage :
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Liens avec d'autres écritures d'invention sur le théâtre :
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Etude du personnage de Dom Juan : le héros de la pièce vu cette fois par Sganarelle, du début de l'acte I
La réplique de Sganarelle a des allures de tirade : c'est une bordée de critiques acerbes débitées à un rythme effréné. Le dénigrement se décline sur un mode cumulatif, abusant du procédé de l'hyperbole (« terrible chose », « il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui »). Les tournures superlatives abondent également (« le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté », « le plus grand scélérat »). Une cascade de mots péjoratifs ou dépréciatifs rythme cette plongée dans les méandres de la vie scabreuse de cet aristocrate aux talons rouges : « ...tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique ». A noter qu'une injure en valant une autre, les mots sont presque tous des synonymes (personnage parangon du sapajou libertin, du séducteur débauché). Dom Juan, grand viveur et penseur jouissif, est comparé à des animaux (« pourceau », « chien »). Ces deux derniers termes, aux connotations symboliques évidentes, font implicitement référence aux philosophes cyniques, soupçonnés jadis par les chrétiens de pratiquer la cynogamie. En outre, et ceci dès la protohistoire du christianisme, les prédicateurs du Christ accusaient, les disciples de l'épicurisme de faire partie du « porcus gregarii Epicurii » (le troupeau des pourceaux d'Epicure). Le thème de la débauche sexuelle et de l'immoralité graveleuse est récurrent (la figure légendaire du sensuel « Sardanapale »). L'appétit sexuel de Dom Juan touche tout, aussi bien les jolies pucelles que les dames d'honneur de la Cour, la plèbe paysanne que la bourgeoisie roturière. Sganarelle renchérit sur un ton nettement plus raboteux, scabreux : « il aurait épousé toi, son chien et son chat ». Tout y passe, échangisme, parties carrées, et même zoophilie ! Dom Juan, « épouseur à toutes mains », pratique l'union libre (ce qu'on appelle les mariages de la main gauche). On l'aura admis : le valet, à bout d'inspiration, vide son sac. Le spectateur comprend que ce dilettante, un coureur de jupons invétéré, s'adonne sans aucune retenue aux plaisirs de la chair : le comportement amoureux de ce rufian est incompatible avec la morale chrétienne ! Tout naturellement, Sganarelle va passer de l'image du libertin mondain à celle du rationaliste athée, du libre-penseur (libertinage de l'esprit). L'impiété de Dom Juan est clouée au pilori. Le laquais fait passer son maître pour un mécréant, un athée qui aurait vendu son âme au diable, « qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou ». Ce « grand seigneur méchant homme » est un personnage de haute volée, somme toute assez inquiétant. Le philosophe Pascal rangeait les libertins parmi les « esprits forts ». C'est dans ce sens qu'il faut entendre l'expression « qui ferme l'oreille à toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons ». La force d'esprit de Dom Juan est au-dessus de toutes les croyances religieuses qu'il méprise, qu'il considère comme des superstitions stupides, et donc des impostures intellectuelles. L'aspect peu conventionnel de ce matérialiste défiant l'autorité divine du Christ ne peut que faire sursauter Gusman, le valet de pied, le domestique de Done Elvire (« tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours », fait observer Sganarelle), et bien sûr les spectateurs de l'époque. Le portrait est-il sincère ? On peut en douter. Autrement dit, il ne faut pas se contenter d'une lecture au premier degré. Les serviteurs et valets sont tenus au devoir d'invisibilité et censés garder le secret au sujet de leur maître. Ce n'est pas le cas ici. Sganarelle semble persuadé d'être l'unique témoin de la dépravation morale de son seigneur. Le valet maltraité par son maître et bourreau est-il de bonne foi ? Son témoignage reste sujet à caution. Sganarelle souligne la banalité du mal chez ce « méchant homme ». Simple constat ou propos de vieille concierge cancanière, rumeur malintentionnée de badauds ? Que penser de cette description du personnage éponyme de la pièce ? Un portrait à la croisée de la biographie ou de la fiction pure ? Le témoignage malveillant de Sganarelle, bien peu flatteur, dresse le portrait d'un individu imbu de lui-même, corrompu, décadent, englué dans le vice, dans la débauche de satisfactions éphémères. D'un esprit fort qui sème un désordre incommensurable dans les esprits. La domination intellectuelle de Dom Juan prend l'allure d'un envoûtement. Sganarelle s'enflamme, certes, mais trop braillard, il cabotine beaucoup, au point de faire tourner la tête au spectateur qui n'a pas une seconde de répit.
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