Skyrock.com
  • ACCUEIL
  • BLOGS
  • PROFILS
  • CHAT
  • Apps
  • Musique
  • Sources
  • Vidéos
  • Cadeaux
  • Connecte-toi
  • Crée ton blog

  • Blog

Cours de français en ligne (par B. MIRGAIN)

Source
Photo de bmirgain

bmirgain

Description :

Bernard.Mirgain@ac-nancy-metz.fr

Mise en ligne de cours de français. Aide gratuite pour les élèves.

http://www.lycee-pmf-epinal.fr

  • Envoyer un message
  • Offrir un cadeau
  • Suivre
  • Bloquer
  • Choisir cet habillage

Ses Honneurs (14)

  • Écolo
  • Fans 100
  • Kiffé Koi !
  • Grand Chelem
  • Fin du monde
  • Halloween

» Suite

Partage

  • Tweet
  • Amis 0

Design by lequipe-skyrock Choisir cet habillage

Signaler un abus

Infos

  • Création : 14/07/2006 à 08:57
  • Mise à jour : 19/01/2021 à 11:54
  • 657 articles
  • 10 commentaires
  • 228 kiffs

Ses archives (657)

  • LEON DEUBEL. LE BELFORTAIN REBELLE.
  • DAUPHIN. ETUDE SEMANTIQUE
  • LE HERON. LA FILLE. UN DIPTYQUE FASCINANT.
  • LE PERSONNAGE DE DOM JUAN :  UN AGENT DE CONTAGION ?

» Suite

Ses fans (131)

  • magieduson
  • elodie-426
  • One-Boa-Piece
  • Soccer-Face
  • darck026
  • Souhir
  • XP0Isson
  • Sweet-Loove
  • Jardin-des-Cocagnous
  • teenass
  • Alain-Grateau-17
  • Scary-Moviez
  • SKYCLUB
  • sos-handicap
  • hardyboys204
  • SandClaire
  • bestofnikosse
  • NETFLIX-SUPER
  • Leesiulong
  • Video-GAG-DeltaVideo

» Suite

Abonne-toi à mon blog ! (13 abonnés)

RSS

Retour au blog de bmirgain

L'antonomase. Un scénario simpliste ?

                                                 L'ANTONOMASE

L'antonomase est une figure de style qui consiste à utiliser un nom propre pour en faire un nom commun.

Olibrius, vandale, pantalon, jeannette, béchamel, silhouette, renard, molosse, poubelle, scotch, caddie, cassandre, kir, mansarde, nicotine, bégonia, binette, dahlia, lapalissade, berlingot, esquimau, cabotin, égérie, fée, gibus, pépin, catogan, cardigan, martingale, jean, balkanisation, létalité, mécénat, minerve, guillemet, baldaquin, argus, flandrin, gandin, sont des mots qui ont tous un lien avec la figuration antonomasique.

On s'intéressera principalement à l'antonomase de nom propre lexicalisée, en tant que synecdoque d'individu (lexicalisation des termes éponymes). Autrement dit aux réalisations résultant d'une catégorisation lexicale individualisante, qui ont abouti à une intégration définitive et irréversible au lexique courant. L'antonomase discursive (du type « le Machiavel du gouvernement », « le Mozart du foot-ball », « la Lolita du quartier », rejoindre Morphée, le Ségur de la santé, désespérer Flins) et les marques patronymiques de produits conservant la majuscule (Dubonnet, Rolex, Pernod, Coca, Ricard, Lacoste) resteront en marge de nos observations. De même que les tournures périphrastiques de caractérisation (« le cygne de Mantoue » pour désigner le poète latin Virgile, « le destructeur de Carthage » pour Scipion l'Africain, « la bergère de Domrémy » pour Jeanne d'Arc, la «petite reine» pour la bicyclette, la chemise Colette), les chrononymes (« La Belle Epoque », « les Trois Glorieuses », « les Trente Glorieuses », « la Débâcle »), ou les complémentations-adjonctions (« échelle de Beaufort », « boîte de Petri », « bacille de Koch », l'aire, l'aphasie de Broca, la maladie de Charcot, « Bob Dylan, le sphinx du Minnesota », « la pêche Melba », du nom de la cantatrice Nellie Melba, courtisée par le cuisinier Escoffier - tombé amoureux également de la cantatrice Hortense Schneider qui jouait le rôle-titre de l'opérette « La Belle Hélène » d'Offenbach, d'où la poire Belle-Hélène - la salade césar, le mimosa de Paris, le concours Lépine, la médaille Fields). On ne s'occupera pas davantage des aptonymes (patronymes, prénoms dont le sémantisme renvoie à une activité ou à une fonction du type : Dylan Armstrong - bras puissant -, Edith Cresson, Ministre de l'Agriculture, Félix Dujardin - botaniste), Laurence Epée - escrimeuse,  épéiste). Ni des siglaisons sans points abréviatifs qui ne sont pas lexicalisées (Ikea, du fondateur de la chaîne de magasins, Ingvar Kamprad, de sa ferme familiale Elmtaryd dans son village natal Agunnaryd) ou des acronymes comme Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), Sopalin (Société du Papier Linge) ou Seb (Société d'Emboutissage de Bourgogne).

  Dans la comédie-ballet de Molière, le Bourgeois gentilhomme, le personnage de Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Sans le savoir, nous-mêmes, nous utilisons des noms propres dans nos propos quotidiens :  un atlante, un centaure, un cerbère, un chaos, une chimère, un dédale, un écho, un faune, un laïus, une mégère, une méduse, un mentor, une minerve, un narcisse, un nectar, un océan, une flore, une furie, un griffon, une harmonie, une harpie, une iris, un pactole, une panacée, un python, un rhésus, un satyre, une sirène,  une syphilis, un titan, un typhon, un zéphyr, etc...

Le nom propre devenant un nom commun

Le nom propre ou prétendu tel entretient un lien étroit avec le référent d'origine (un individu, un lieu) qui se caractérise par sa « distinctivité » (notions de prototype, de pierre de touche ou de parangon). Il sert par ailleurs de socle commun à l'ensemble des catégories grammaticales (noms, adverbes, adjectifs, verbes) qui entretiennent un rapport avec ce mécanisme référentiel. L'emploi d'un terme déterminatif entraîne de facto la création d'une catégorie nominale. Les lieux de fabrication (la « mousseline » - toile fine de Mossoul en Irak ; le « capharnaüm », toponyme biblique sur les rives du lac Tibériade en Galilée), tout comme les inventeurs (la « mansarde », issue du nom de l'architecte de Louis XIV, Jules-Hardouin Mansart) laissent des traces dans le lexique. Dans les échanges discursifs, le locuteur tout comme le récepteur peut très bien ignorer ce à quoi ces signes linguistiques renvoient, même si les mots sont compris de tous. Pas besoin d'avoir lu le Roman de Renart ou les exégèses médiévistes de Michel Parisse pour comprendre ce que veut dire le verbe péjoratif « houspiller » (ancien français houcepingnier, formé à partir de housser - battre avec une verge de houx, francique hulis -  et de peignier, masculin latin pecten, le peigne). Une remarque générale qui s'applique tout aussi bien pour les dénominations d'origine étrangère : « gribiche » (néerlandais « kribbich » avec le sens de grognon), japonais « kimono », « geisha », chilien « araucaria », anglais « gymkhana »,  turc kirbaç pour la cravache, «berlingot » (italien « berlingozzo », dialecte toscan « berlingaccio »), espagnol « vertugado » pour le vertugadin, le portugais « sainete » pour le saindoux et la saynète. Et bien entendu pour les étymons grecs (masculin oxymore, ὀξύμωρος ,   dont l'ossature étymologique, elle-même oxymorique, est tirée de ὀξύς voulant dire « aigü »  et μωρός, son exact contraire, « émoussé ») et latins (« une crédence » du verbe credo, « arriver » issu de la construction prépositive « ad ripam ire »). L'inventaire des origines (qu'il s'agisse  de toponymie onomastique ou d'autres lexèmes de la langue courante, voire tombés en désuétude), s'astreint à emprunter le même circuit d'une recherche savante. Et en matière d'échographies étymologiques, les langues anciennes (latin et grec) sont des appareils reproducteurs qui se disputent souvent la place. 
 
L'antonomase, un pur produit de la migration des signifiants

                         L'antonomase consiste à employer un nom propre pour un nom commun et  inversement, de manière réciproque. Ainsi s'énonce la règle souveraine de cette figure qui rend visible une gémellité morpho-graphique avec les autres noms communs.  La substitution dénominative se justifie, entre autres, par la référence aux qualités propres de la personne (donjuanisme, donjuanesque), à ses activités de loisirs (silhouette), à ses inventions  (poubelle, guéridon). Les signes typographiques appelés « guillemets » doivent leur appellation à la forme diminutive de Guillaume (prénoms Guillemet, Guillemette, occitan Guilhem, issus du germanique Willhelm (Will-volonté, Helm-le heaume, le casque), son probable inventeur. Alors que dans cette même  langue allemande, les guillemets en forme de virgules sont appelées die Anfürhungsstriche, Hochkomata ou familièrement parlant die Gänsefüßchen, petites pattes d'oie). Les guillemites ou guillelmites sont des bénédictins (ordres fondés par Guillaume de Mallaval et Saint-Benoît), le guillemot un palmipède des régions arctiques.

Sans conteste, l'antonomase fait la part belle à un grand nombre d'inventeurs (diesel, ricqlès, calepin, de l'ingénieur Rudolf Diesel, du liquoriste Samuel Heyman de Ricqlès et du moine lombard Ambrogio Calepino). Egérie des grandes marques, elle reste sans conteste la reine du merchandising, tout en démontrant que le grec et le latin ne sont pas des langues mortes (la Vespa, du latin « vespa », la guêpe, Sanex de « sanus », Nivea de niveus, Findus, Urgo, Bonux, Durex, Candia, Volvo, Clio, Vademecum, Midas, Magnum, Nike, Orange, Valeo, Lego, etc...). Sans oublier le paquebot de la « White Star Line », le fleuron des transatlantiques, ce titan des mers, l'insubmersible Titanic ! A noter que l'antonomase peut faire parfois l'objet d'une abréviation par apocope (la chaise transat ou deck chair, la chaise de pont, le bain de soleil, la chilienne).

La force de la consécration : de l'ovation à l'adoubement lexical...

  L'antonomase ne fait sans doute pas partie des mots qui n'ont rien à raconter : elle est donneuse de leçon car elle entretient, avec bonne conscience,  un lien très fort, presque chamanique, avec les traces matérielles laissées par un événement, par une action individuelle ou collective.

On ne résiste pas au plaisir de citer les personnalités qui ont trouvé une place dans les dictionnaires de la langue courante :
 
     Mathusalem, Caius Cilnius Maecenas, Mentor, Pénélope, Achille, Méduse, Mausole, Atlas, Titan, Dédale, Damoclès, Cassandre, Messaline, Judas, Jacques de Chabannes de La Palice, Louis Braille, Samuel Morse, Joseph-Michel et Jacques-Etienne Montgolfier, Sébastien Bottin, Louis de Béchameil marquis de Nointel, John Loudon McAdam, Helen Porter Mitchell alias Nellie Melba, John Contagu comte de Sandwich, Jean Nicot, François-Bertrand Barrême, François Mansart, Joseph Ignace  Guillotin, Louis Antoine de Bougainville, Samuel Colt, Phineas Taylor Barnum, Pompeo Frangipani, Roy Jacuzzi, Charles Lynch, Louis Rustin, Sidonie-Gabrielle Colette, Jean Anthelme Brillat-Savarin, Guillaume Massiquot, les frères Goncourt, Juan Manuel Fangio, Jonathan Edwards Chatterton, Earl Tupper, etc...

                Cette figure de langage est une sorte de synecdoque puisqu'elle se réfère à un personnage type (celui de Dom Juan) pour s'appliquer à toute une catégorie (celle des collectionneurs de femmes). C'est à partir de cette équation que l'antonomase fonctionne. Certaines d'entre elles rendent superflue toute intuition. Pour d'autres, la motivation du sens peut avoir totalement disparu (un pébroc, un sosie, un pantalon, nous dirigent vers des protagonistes de théâtre).

Dans l'antonomase, se rejoignent les souvenirs d'une mémoire collective, stratifiée (ou non) par des références historiques ou géographiques (le fromage de la commune de Camembert dans l'Orne) qu'elle fait renaître. Les grands personnages figés par l'histoire s'invitent dans le cercle des souvenirs des locuteurs.  Cette figure entretient un lien avec des dignitaires de l'Etat (César), de l'armée (victoire à la Pyrrhus), d'un aventurier (Casanova), ou des héros de la littérature (un Don Juan, un Tartuffe, un Harpagon, un Rastignac), de la peinture (un poulbot, expression désignant au tournant du siècle un gamin, qui provient du dessinateur Francisque Poulbot), pourquoi pas du cyclisme (l'éternel second, Poulidor).  

Elle se décrypte comme un hommage aux transmissions générationnelles. Celles des légendes mythologiques : Hercule, Apollon, Adonis. Par exemple, le féminin « chimère » est le nom du monstre tué par Bellérophon (latin Chĭmæra, copie du grec ancien Χίμαιρα -Khímaira). C'est par là que commencent les professeurs de lettres pour rendre compte de la subtilité des emplois antonomasiques. Rien de renversant, à moins de commencer sur un mode plus fantaisiste par les tartes à la crème, la « tatin » (la tarte aux pommes renversée des s½urs du même nom).

L'antonomase, un scénario simpliste qui ne cherche pas à déboussoler...
 
        L'antonomase nous pousse à feuilleter le bottin - dérivé du nom du statisticien Sébastien Bottin -, à potasser les annuaires, à éplucher à sauts et gambades des listes de noms.  La lexicologie, lestée de connaissances encyclopédiques, s'intéresse à ce récit de transmission, et cherche à mettre à jour ce qui se passe derrière la façade de ces constructions lexicales. Le sémanticien analyse, à coups de sonde,  ces dernières comme  quelqu'un qui se souviendrait d'un vieux coffre oublié dans un grenier.  A l'opposé des vieux chiens fatigués d'aller à la chasse...

             Une pureté propre définit l'antonomase, même si elle a nécessité parfois quelques ajustements graphiques. L'antonomase s'inscrit, sur le plan chronologique, dans une lignée chargée de morts. Elle boude les filiations mutantes, contrairement aux hagionymes (le prénom Elisabeth, par exemple, connaît une trentaine de variations par apocope, aphérèse, épithèse, anastrophe ou anaptyxe). Rien de tel avec l'antonomase, qui s'interdit toute liberté d'allure dans ses plans d'annexion néologique. Tout au plus admet-elle une addition sous la forme d'une paragoge ou d'un suffixe. Bref, ses performances de créativité sont assez limitées...

   Pour résumer, elle restitue à distance un parcours, une anecdote, un fait historique, sans faux-fuyants. L'antonomase comporte une référence à un éponyme : une personne ou une collectivité, un lieu qui donne son nom à quelqu'un ou à quelque chose (la martingale, ville de Martigues dans les Bouches du Rhône). Le substantif masculin « zouave » a des origines ethniques (arabe « Zwàwa », se rapportant à des communautés tribales kabyles dans la région de Djurdjura en Algérie) et entretient un lien, tout comme les gardes-suisses (Suisse, Cent-Suisses, corps de garde créés par Charles VIII, et par analogie les concierges, portiers, ou laïcs des cathédrales) avec une zone géographique de recrutement des mercenaires.

L'antonomase se réclame d'une tutelle (l'éponyme) et grâce à la lexicalisation, se réapproprie un legs. Prenons le mot féminin « bougie » : il est emprunté à la langue kabyle, « Béjaïa »,  un port situé non loin de Constantine en Algérie, au pied du djebel Gouraya, qui doit sa réputation au commerce des chandelles à la cire d'abeille. Somme toute, l'origine de l'emprunt  peut être décryptée, à condition d'être assortie d'une savante notice. L'emplâtre à base de « brouillaminis » d'herbes (d'où l'emploi par Beaumarchais du figuratif « embrouillamini », situation confuse, chaotique) est un emprunt du latin « boli armenii », littéralement « bol d'Arménie ».   Le « macchabée » - avec le sens de cadavre - se rapporte à Judas Maccabée, héros de la révolte juive contre la tyrannie des Séleucides. Les lorettes exerçaient une activité prostibulaire dans le quartier Notre-Dame-de-Lorette à Paris où les comptoirs des bastringues leur servaient de boudoir  (mot issu du diminutif Laurette, prénom dérivé de Laure, du latin classique « laureus », le laurier). A l'opposé, la vestale (femme d'une chasteté inflexible), fait référence aux gardiennes du feu dans les temples de Vesta. En Allemagne, « die Toskana Fraktion » est une expression utilisée pour tourner en dérision l'embourgeoisement des sociaux-démocrates. Les dirigeants du S.P.D. (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) passent leurs vacances en Toscane, les éloignant des préoccupations ouvrières qu'ils prétendent défendre. Source inépuisable de créations terminologiques, l'antonomase, franchissant d'un pas hardi l'espace du temps, se nourrit de tout. Sans éviter la surcharge, la surproduction, notamment dans les locutions périphrastiques ou tours elliptiques : « mettre Pâques avant les Rameaux », « fêter la Pentecôte avant Pâques », autrement dit « mettre la charrue avant les b½ufs » avec des connotations lubriques et gauloises (s'accorder des privautés avec sa promise  avant la nuit de noces en parlant, cela va de soi, de jean-foutres).

L'antonomase et la mémoire du référent

Elle s'entrelace bien sûr avec l'histoire :

* de la littérature et de la philosophie : herculéen, dantesque, tartarinade, rabelaisien, gargantuesque, picrocholine, dulcinée, nana et davidée (personnages de roman de Cervantès, Victor Hugo et René Bazin), maritorne, rossinante, scaramouche, lilliputien, kafkaïen, cynisme, socratique, platonique, aristotélicien, machiavélique, lapalissade, panurgisme, cartésien, épicurisme, freudien...

* des arts : bandonéon (nom de l'instrument de musique formé à partir du patronyme de Heinrich Band qui tenait un magasin de musique à Krefeld, en Rhénanie), stradivarius, colophane, barnum, marionnette, thébaïde

*du théâtre, de l'opéra, du cinéma : sosie, jocrisse, guignolesque, arlequinade, mascarade, pantalonnade, matamore, tabarinique, tabarinesque, scapinade, rodomont, rodomontade, guéridon, pépin, marivaudage, ubuesque, le barbacole (italien Barbacola, nom du maître d'école dans un opéra de Lulli), chaplinesque

*des religions (babélique, adamisme, sodomite, grégorien), des récits bibliques (un moïse, jobard-Job, jérémiade-Jérémie, une chevelure « absalonienne », de Absalon, fils du roi David), racaille (raka, dans la Genèse), molinisme, jansénisme

* de l'architecture : baldaquin (baldacchino, forme toscane de Bagdad), corbillard (ville de Corbeilles), fiacre (de saint Fiacre, dont l'effigie surplombait un ancien hôtel parisien devenu un établissement de louage de carrosses)

* des techniques et des brevets déposés : bougie, faïence, bristol, charentaise, kleenex, klaxon, frigidaire, scotch, solex, diesel, barbotin (nom du capitaine de frégate Barbotin), colt (de l'armurier Samuel Colt) bakéliser (verbe issu du féminin « bakélite » se référant au chimiste Baekeland), macadémiser (de l'ingénieur John Loudon McAdam), la draisienne (du nom de son inventeur au XIXème siècle, le baron Karl Drais von Saverbrunn, du grand-duché de Bade), la michaudine (draisienne à pédale de Pierre Michaux), la micheline (André et Edouard Michelin, fondateurs de la manufacture de pneus), algorithme (du  mathématicien persan  Al-Khawharizmi), kärcher (ingénieur allemand Alfred Kärcher) 

* des sciences géologiques (hercynien, silurien, dévonien, jurassien, bathonien), paléontologiques (néandertalien,  magdalénien), de la chimie (germanium, palladium, uranium), de la potamologie (« méandre », dérivé du latin Maeander et du grec ancien  Μαίανδρος, le dieu fleuve, fils d'Océan et de Thétys),  des sciences médicales (minerve)

*de la géographie : méroïtique, île Adélaïde, archipel Sandwich (baptisé ainsi par James Cook en hommage à John Montagu, comte de Sandwich), la province du Languedoc, le massif de la Forêt-Noire (« der Schwarzwald » en allemand), l'Occident, le Maghreb, Méditerranée, Atlantique, Pacifique, la Manche, la Venise du Nord (pour Amsterdam), Héliopolis,  le Rocher (pour le territoire de Monaco), les Pays-Bas, le Monténégro...

* de la numismatique : liard, florin (de Florence), tune (de Tunis)

* de la botanique : bégonia, dahlia, hortensia, lavatère, vallisnérie, cobéa, bougainvillier, colchique, nivéole, monarde, silène...

* de l'ornithologie : geai, martin-pêcheur, martinet, perroquet, sansonnet, jacasser, margoter (des prénoms Jacques et Margot), pénélope, la faune, le damascène (pigeon)

* de la zoologie : belzébuth, chihuahua

* de l'art culinaire : la génoise, la milanaise, la macédoine, le moka, la menthe bergamote, le gouda, le gorgonzola, le livarot, la soubise, la mirepoix, le quinquina, le kir, le bourbon, le cognac, le malaga, le grand marnier, la téquila...

* des travaux pratiques ou technologies : guillaume (rabot) et guillocher (prénom Guillaume), damasquin, damasquinage, damasquinerie, baldaquin, crépin, eustache, opinel, fenwick, la fermeture éclair, la maryse (nom de la cuisinière de l'industriel vosgien Hervé de Buyer)

* des civilisations, des sciences sociales : hellénistique, guerres balkaniques, balkanisation, bidasse, binette (nom du perruquier de Louis XIV), pétainisme, gaullisme, marxisme-léninisme, stalinisme, chauvinisme, hooliganisme, les mots-valises comme  la cocalisation, la macdonaldisation, la dysneylandisation ou la lunaparkisation de la société...

    L'antonomase peut tricoter plusieurs fils, créoliser prénom et nom propre en piochant parmi les anonymes. Le jeu de colin-maillard (« Colin bridé » dans Gargantua de Rabelais) doit sa dénomination au diminutif hypocoristique de Nicolas (du grec nikê, la victoire, et laos, le peuple) et au patronyme Maillard (ancien français mail, mailleor, issu du latin malleum, le marteau). Le plus souvent, elle revisite la vie des hommes et femmes, restés célèbres dans la mémoire collective.  Elle s'empare de la notoriété de l'éponyme sans son accord et sans même qu'il ait été prévenu. Elle se veut l'apôtre de l'utilité et du progrès (termes de médecine comme « mélanome », prénom féminin issu du grec μέλαινα signifiant « de couleur noire, sombre » ou « glaucome » par référence à Glaûkos, fils de Poséidon). Ou bien encore pasteurisation, salmonellose, parkinsonien, daltonisme... Et la nicotine alors, dira-t-on ? L'extrait végétal, baptisé ainsi par Linné en l'honneur de l'ambassadeur de France au Portugal Jean Nicot, passait, au XVIème siècle,  pour un excellent remède aux céphalées (la propre épouse du roi Henri II, Catherine de Médicis, était migraineuse et se soignait avec le tabac, d'où son surnom de « Médicée », ou « herbe à la Reine »).

 L'antonomase suit les caprices de la mode, celle par exemple des tissus, étoffes et coiffes. Citons à titre d'exemples le damas (ville syrienne de Damas), la carmagnole (ville italienne Carmagnola), le blue-jean (textile de Gênes), le cachemire (province du Kashmir en Inde),  le tulle (la ville de Corrèze), la cravate (habit de soldat croate), la maline (de Malines, ville flamande), la singalette (coton de Saint-Gall en Suisse),  angora (du toponyme Angora devenu aujourd'hui Ankara), le cardigan (jaquette inventée par James Thomas Brudenell, comte de Cardigan), les bas de Céladon, etc...

On n'oubliera pas les charentaises (créées à Rochefort dans les Charentes, au XVIIème siècle), fabriquées à partir de feutres militaires pour rendre le port des sabots moins douloureux.  Ces chaussons, surnommés « les silencieuses », font partie de notre patrimoine. De même que les produits de la gastronomie : le gruyère, de la bourgade et province suisse de Gruyères ; le brie, forme masculinisée de « la Brie »,  région du Bassin Parisien ; le « parmesan », italien parmigiano, de Parme. Elle suit les lignes de crête des terroirs vinicoles (appellations contrôlées par l'INAO et crus millésimés type beaujolais, bourgogne). Le vocabulaire de la danse et de la musique n'est pas en reste : le « rigodon », de son inventeur Rigaud, le « charleston » du nom de la ville de Caroline du Sud, le « boston » du nom de la capitale du Massachusetts...

Restent aussi les pages du calendrier (« janvier », issu du nom Janus, dieu des portes, des passages et des commencements dans la mythologie romaine, « août » du latin « augustus mensis », substantivé en l'honneur de l'empereur Auguste, « mai» de la divinité italique Maia, fille de Faunus).
 
L'antonomase, le couteau suisse de la création terminologique...
 
    Elle fait prévaloir un pragmatisme assez prosaïque, en se contentant de recopier de manière soignée un nom de famille. Elle inscrit le référent cible dans une relation identitaire directe. Pas de quoi mordre l'oreiller, ou bousculer l'imaginaire. Tout simplement, elle raconte des lieux, des vies,  fait ressurgir la mémoire des gens, entremêlant la réalité avec des mythes, la fiction littéraire et le réel. Elle se coule dans le moule d'individus en chair et en os ou de personnages de papier qui ont laissé une empreinte dans l'esprit des locuteurs ou lecteurs. C'est sans doute pourquoi l'antonomase prend l'ascendant sur les formulations périphrastiques à valeur métaphorique. La « guillotine » domine ses concurrentes (la « grande veuve », « le rasoir national ») dans la mesure où elle  est étroitement associée au référent déclencheur (le docteur Guillotin). Elle se maintient au-dessus du lot commun des séries métaphoriques. Elle se caractérise par cette relation d'irréversibilité. C'est un invariant qui ignore le renversement du temps. Elle fixe une trajectoire unique  qui  nous ramène à des ascendances lointaines qu'il s'agisse de l'empereur Vespasien, auteur d'une taxe sur les urines (l'amoniaque  était utilisé pour le traitement des textiles). D'où ces édicules abritant des urinoirs publics, les « vespasiennes ».  Ou qu'il s'agisse des « lavallières » (cravates à n½ud flottant), portées par l'une des premières maîtresses de Louis XIV, Françoise-Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière. Ou de « fontanges », ces rubans de soie ou de mousseline dont raffolait Marie-Angélique de Scoraille, demoiselle de Fontanges, la dernière favorite du même roi. Ou encore des « godillots », ces brodequins militaires confectionnés par Alexis Godillot, fournisseur de bottes de l'empereur Napoléon III. Le « prince-de-galles », tissu à filets noirs et blancs quadrillées porté par Edouard VII.

         L'antonomase rend à César ce qui appartient à César. Le daltonisme au pharmacien John Dalton, le freudisme à Sigmund Freud, la pomme de terre autrefois dite la « parmentière » - et dans la foulée le hachis parmentier - à l'agronome Antoine Augustin Parmentier, le savarin à Jean Anthelme Brillat-Savarin, le « frisbee » au pâtissier Frisbie de William Russel, le « carpaccio »  au  chef cuisinier Giuseppe Cipriani (qui a voulu rendre un hommage par cet acte de baptême culinaire au peintre vénitien  Vittore Carpaccio), le « strass » (pierre artificielle à base de plomb, verre et sels métalliques) au joaillier strasbourgeois  Georges Frédéric Strass , le derby au comte de Derby, le rimmel au parfumeur anglais Eugène Rimmel, la Tesla au physicien serbo-américain Nikola Tesla, la césarienne à Jules César, né comme chacun sait par hystérotomie. Et la paulette à Charles Paulet, secrétaire du roi Henri IV qui supprima la clause de 40 jours pour la cession des charges et fonctions publiques. La vénalité des charges (celle de contrôleur des baptêmes, aux empilements de bois, au cubage des stères, etc...) imposait de payer une taxe annuelle (d'où le verbe pauleter, payer « la paulette »). Si l'antonomase nous acoquine au passé, elle ne fait pas dans la dentelle et reste sans inventivité.                   
    Somme toute, elle n'atteint pas les sommets de l'imagination poétique ! Sa texture, sur un plan lexicographique, se passe de broderie et ne s'autorise aucune virtuosité ou fantaisie scénaristique. La confusion ne saurait s'installer. On finira toujours par savoir ce qu'elle nous confie. Le contrebandier Louis Mandrin, roué vif à Valence en 1755, fournit son attestation aux emplois linguistiques : lexicalisé, « mandrin » prend le sens de bandit de grand chemin, malfaiteur, gredin, mauvais garnement (alors que l'origine étymologique de « mandrin » avec le sens de tourillon ne fait pas vraiment consensus). L'antonomase est un dispositif en miroir : ce qui s'est joué sur la scène de l'histoire se prolonge dans la corporéité  de la langue. Le présent étant à jamais séparé du passé,   la paronomase,  qui semble engluée dans une temporalité figée, se fixe pour objectif de faire revivre le souvenir  du temps révolu. Elle entretient un rapport précis avec l'histoire, par lequel s'affirme une volonté de ne pas rompre avec un fait qui a pu attirer l'attention par son caractère exceptionnel.  Elle opère comme une boucle de rétroaction. Agissant comme un signe du destin, elle réveille les morts.  Rien ne répare mieux un deuil que l'antonomase. Elle fait sortir des coulisses ce qui a pu survivre à la destinée d'un personnage, la guillotine par exemple, inventée par le médecin Joseph Ignace Guillotin. Elle aurait pu s'appeler « mirabelle » si le comte de Mirabeau, qui avait défendu avec enthousiasme la machine de Guillotin,  avait su faire oublier l'ingénieux inventeur. Les appellatifs formés à partir d'un nom propre ne connaissent pas de clause d'exclusion. La sanglante notoriété du supplice de la guillotine n'a pas d'effet rédhibitoire  sur la recomposition lexicale (exemples au compte-gouttes : fenêtre à guillotine, porte-guillotine, le tranchoir ou couteau de cuisine, le style guillotine).
 
L'antonomase sans correspondance, faux nez et poissons d'avril...

     L'antonomase tricote des liens aussi avec ce qui n'a jamais existé : la saint Glinglin (du germanique mosellan « klingen »),  la sainte nitouche (la Saincte Nytouche, néologisme forgé par François Rabelais dans son roman « Gargantua »). Dans un autre roman, il s'agit cette fois de son « Pantagruel », Rabelais utilise une locution adverbiale (« boyre à tyrelarigot ») que certains étymologistes relient à un refrain médiéval (« Larigot, va Larigot ») et d'autres à la célèbre cloche « la Rigaud » de la cathédrale de Rouen.  Le terme familier et faubourien « gnognotte » (issu vraisemblablement par redoublement onomatopéique de « gnan-gnan »), avec le sens de « brimborion », provient d'une chanson de Paul Emile Debraux qui avait pour titre « La Gnognotte ». Le lexicographe est un enquêteur qui doit tirer les fils, expurger les extrapolations cousues de fil blanc. Il n'est pas là pour raviver l'½il des amateurs de sensationnalisme. Il se moque comme d'une guigne des digressions et envolées spéculatives prises dans la glu des masques et des leurres.

Certaines expressions spécifiantes n'ont rien à voir avec d'illustres aïeux ou de glorieux aînés. Les parasites ne manquent pas. L'horticulteur et agronome Pierre Poivre n'a jamais donné son nom au fruit du poivrier. Le  poivre (et la série paronymique poivrade, se poivrer, poivré, poivrière, poivrot) vient du neutre latin piper-piperis, lui-même issu du grec πέπερι, emprunté à un terme oriental (ancien français du XIIème siècle « poivre », « pépré » de l'adjectif piperàtum pour le « mal de Naples »). Pas plus que l'obstétricien Adolphe Pinard n'a transmis de manière rectiligne son patronyme au coup de pinard qui, lui,  a subi l'ascendance des homophones pinot, pineau (noms de cépages probablement tirés du latin  « pinus »). Un équarrissage en règle  du mot s'est produit par l'attribution respective du suffixe péjoratif -ard. D'autres expressions métaphoriques sont sujettes à caution,  comme l'exclamatif « mazette », attesté dès le XVIIème siècle (probablement associé par analogie à mesette-mésange, mauviette-alouette). Ou belote. Comme pour le poisson d'avril, l'antonomase accepte bien des canulars... Les circonstances de l'apparition de tel ou tel idiome suscitent des controverses que rien ne lasse.

Le conifère appelé « sequoyah » (Sequoia sempervirens) par le botaniste autrichien Stephan Ladislaus Endlicher porterait le nom de l'inventeur de l'écriture Cherokee. Une version contestée, les datations ne correspondant pas, par d'autres scientifiques qui expliquent cette dénomination par un échelonnement fossile de ces gymnospermes (avec pour étymon le bas latin « sequentia »).

          A la Renaissance, dans son Discours de la servitude volontaire (1549), Étienne de La Boétie [1530-1563] fait provenir par dérivation corrompue l'adjectif « ludique » du mot « Lydi » (la Lydie, région d'Asie Mineure).  Pourtant, les Grecs n'avaient pas de mots (en dehors de παιδεία) pour exprimer ce que nous entendons par « jeu ». Prenons pour référence les adjectifs « sardonique », « sardonien », qui proviennent du grec σ α ρ δ α ́ ν ι ο ν γ ε λ α ̃ que certains ont traduit par « originaire de Sardaigne » (ethnonyme romanisé). La renoncule appelée sardonia herba en latin est une fleur de cette île qui provoquerait des rictus convulsifs. D'autres linguistes, comme Dumézil, pensent que cette forme de rire serait plutôt liée au culte de Vulcain-Soranus...

L'étymologie dans certains cas peut se révéler vacillante ou lapidaire. Le mot Vatican (la cité, les conciles) pourrait se rattacher au masculin vates (devins, prophète, oracle), car les charlatans exerçaient leur art divinatoire sur cette rive du Tibre. Des historiens évoquent une ville étrusque baptisée Vaticum. D'autres invoquent le dieu Vaticanus, qui présidait aux débuts du langage des enfants. Ou un territoire, Vaticanus mons, l'une des sept collines de la  Rome préchrétienne.
 
Le vide, une voie d'accès pour la lexicalisation

      L'air de rien, l'antonomase vit aux crochets d'une actualité : elle réserve un sort aux  à des personnages, peut-être oubliés par les locuteurs, mais qui sont loin d'être des exilés pour les dictionnaires. Portant le deuil de ceux qui ont disparu, elle fait écho à leur histoire...

    Elle assure une rédemption, en entretenant le culte d'une gloire (l'alexandrin, le dodécasyllabe à rimes plates du « Roman d'Alexandre ») ou d'une infortune (par exemple, la douloureuse fin de carrière de Charles Cunningham Boycott). Ou les deux en même temps, lorsque l'origine prête à discussion. Ce qui est le cas de la « charlotte », par référence à la coiffe de la meurtrière de Jean-Paul Marat (directeur de L'Ami du Peuple),  Charlotte Corday, qu'elle refusa de retirer sur l'échafaud (elle fut guillotinée le 17 juillet 1793).  Selon d'autres sources, la charlotte doit beaucoup à Charlotte de Mecklembourg-Strelitz qui mitonnait volontiers  son fameux pudding pour son mari George III (qui accéda au trône d'Angleterre en 1760). D'autres dérivés ne font pas connaître leur origine de manière limpide, ce qui est le cas pour le mot « cariatide », qui vient du grec Καρυάτιδες (« femmes de Karyes », en pays sparte dans le Péloponnèse) Le terme semble lié au sort de ces malheureuses femmes  de Laconie, humiliées par leurs ennemis. Elles furent, selon Vitruve, obligées de se prosterner immobiles devant le défilé de leurs maris faits prisonniers. Mais d'autres sources évoquent la fierté de ces épouses, à l'apparence martiale. Les interprétations passent de Charybde en Scylla pour dévoiler l'origine première de tel ou tel emploi.
 
   Il faut en convenir, l'antonomase sert en définitive à combler un vide. Mais pas toujours. Elle peut redoubler les expressions référentielles sous la forme de périphrases figées rendant compte d'une représentation du référent (réactualisation périphrastique révélant un choix dénominatif plus lisible d'un point de vue dialogique, impliquant un accord entre énonciateurs et récepteurs sur les caractères communs du référent). La périphrase vient alors suppléer, sur un mode explicite, la signifiance d'un nom propre identifiant telle ou telle personne, faisant agréer son service en lieu et place de l'anthroponyme. Elle remplit un rôle de transmission et de transposition de tout ce qui se passe dans le monde (liens de parenté pour les exemples qui suivent). Les connexions en matière d'individualisation sont nécessairement attendues, ou largement partagées, et respectent, de plus, les règles d'étiquette.

Au XVIIème siècle, on utilisait des formulations  comme la « Grande Mademoiselle » pour parler de la fille de Henri IV, duchesse de Savoie - Christine de France, à  la fois s½ur de Louis XIII et tante de Louis XIV-, ou « le Petit Monsieur » pour Philippe d'Anjou (frère benjamin  de Louis XIII, devenu « Monsieur »  après la mort de Gaston d'Orléans), et le « Grand Monsieur » pour ce même Gaston, troisième fils de Henri IV...

    En dehors de ces emplois spécifiés, l'antonomase imprime sa marque seulement quand la chose ou l'être qu'elle désigne ne se trouve pas dans quelque recoin de la langue. Elle entretient un rapport au monde où se fait entendre le bruissement du temps. Un temps surchargé de références dont elle assure un incessant ressassement. Elle ne se contente pas d'une audience locale. Elle est là pour faire du lèche-vitrines.

 L'antonomase de presse ou publicitaire aime les gros titres de la presse : « pour un nouvel Epinay de la gauche ! » ; « Nike, la chaussure de la victoire ! ». A l'occasion, elle soutient une forme d'humour facile : « Merci qui ? merci Quies ! » (paronomase avec l'échantillon latin quies, quietus, le repos). Fréquemment, elle s'empare des débats contemporains avec une raideur presque trop sentencieuse, qui satisfait aux impératifs de l'hyperbole : « La Berezina des vieux partis politiques » ; « Ne pas désespérer Billancourt ! » (le prolétariat industriel).
 
Les formes adjectives et substantives dans les emplois antonomasiques : une possibilité minimale de productivité morphologique...

   Celles-ci donnent droit à une seconde vie aux antonomases orphelines, sans toutefois étendre ou modifier le sens habituel de l'expression. Ces unités monomorphémiques n'élargissent en rien le sémantisme de la dénomination d'origine. Elles transposent leur texture.

  Les formes adjectives redoublent bien souvent des dérivés substantivés du type hermétisme-hermétique (dieu Hermès, gardien des routes et carrefours), psychisme-psychique (Psyché, allégorie de l'âme), érostisme-érotique (Eros, dieu primordial de l'Amour) : cyrillique (Saint Cyrille), irisé (Iris, messagère d'Héra),  hygiénique (déesse de la propreté Hygia), léthal (Léthé, fleuve de l'oubli dans les Enfers),  martial (dieu de la guerre Mars), médusé (l'une des trois Gorgones, Méduse), volcanique (dieu de la forge Vulcain),  glauque (divinité marine Glaucos, fils de Poséidon),  gracieux (les trois Grâces chez les Romains, déesses de la fécondité,  filles de Zeus), hypnotique (Hypnos, dieu du sommeil), etc... L'adjectif « acariâtre » est peut-être dérivé de saint Acaire, qui avait la réputation de guérir la folie. Ou d'un évêque, d'un abbé. L'interprétation sémantique nous oriente parfois dans des directions qui font prévaloir le doute, en l'absence de preuves, ou en présence de plusieurs traces.

    Dans certains emplois, ces dérivés adjectivaux présupposent un solide savoir : la dynastie lagide, ptolémaïque, une piété sulpicienne (patronyme et toponyme,  nom de l'évêque de Bourges et chapelain du roi mérovingien Clothaire II, nom du séminaire Saint-Sulpice), janséniste (théologien Cornelius Jansen), jésuitique (Compagnie de Jésus), pascalienne (mathématicien et philosophe  Blaise Pascal).

                  Pour les formes nominales, on retiendra : égérie (Egeria, nymphe des sources), morphine (le dieu des rêves Morphée), nymphomane (les Nymphes, divinités aquatiques),  panique (dieu Pan),  tortue (le Tartare, territoire le plus effroyable des Enfers), éolienne (dieu des vents Eole), lampadaire (les Lampades, nymphes infernales), éphèbe (Hébé, déesse personnifiant la jeunesse), philippique (Philippe de Macédoine, père d'Alexandre le Grand), henriade (épopée en l'honneur de Henri IV).  Le féminin « robinsonnade », calqué sur le personnage de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, se voit assorti d'un suffixe en -ade sur le modèle des substantifs promenade, balade, galopade, gambade... Le taylorisme, le fordisme font référence aux industriels  Frederick Winslow Taylor et Henry Ford. Le toyotisme ou l'uddevaldisme (usines Volvo) aux villes de Toyota au Japon et Uddevalla  en Suède.

Les formes verbales issues d'un patronyme

Les antonomases ne se bornent pas à une collégialité avec des adjectifs ou substantifs. Elles concernent aussi les verbes, même en allemand. Dans la région du Bade-Wurtemberg, les Allemands emploient l'expression verbale « parisieren » pour évoquer les couples qui vivent en concubinage, comme à Paris. Jusqu'en 1860, Paris ne comptait que douze arrondissements. Dans la langue des faubourgs, on disait de ceux qui vivaient en union libre qu'ils s'étaient mariés à la mairie du XIIIème ! Le verbe « limoger » remonte à la première guerre mondiale de 14-18 : le général Joffre avait relevé de leur commandement et assigné à résidence les officiers incompétents dans la ville de Limoges. D'autres verbes affichent des origines moins obscures (transitifs « nobéliser », « césariser », ou encore « oscariser », intransitif « robinsonner »). Le verbe « dandiner » provient d'un personnage littéraire  (« Perrin  Dandin » qui s'autoproclame juge dans le « Tiers-Livre » de Rabelais, puis George Dandin, le mari confondu de Molière). Guillemeter vient de Guillaume, guillocher d'un certain Guilloche, vulcaniser de Vulcain, ringardiser de Ringard, galvaniser du pionnier de l'électrophysiologie Luigi Galvani. Le verbe lyncher tire son origine des lois édictées par le Capitaine William Lynch, un juge de paix devenu sénateur de l'Ouest américain pendant la guerre d'indépendance.

Le nom commun devenant un nom propre

Le nom commun constitue de manière fréquente la source  étymologique du nom propre et plus particulièrement des localisations géographiques. Ces noms propres n'affichent aucune indication d'appartenance à cette catégorie grammaticale. Ils ne sont pas reconnus comme tels par les usagers de la langue, et encore moins si le mot-source fait partie d'une langue étrangère.

Les noms communs devenus des noms propres permettent de la même façon de distinguer des objets ou d'individualiser une personne. En revanche, les combinaisons lexicalisées mettent à mal leur hypersémanticité, même si elles sont porteuses d'un sens absolu. Le xénisme n'altère pas la dénomination prototypique. Certains toponymes témoignent de ce passage d'une langue-source à la langue-hôte (Créteil, par exemple, est formé du préfixe gaulois -crist et du radical olium, le vosgien Vacceux issu du latin « vacca »). Le lien dénominatif s'associe à une mémorisation qui nous fait retourner à un point de départ. L'origine du mot issu d'une langue-source différente de la langue-cible nous oblige, parfois, à nous remémorer un temps long.

Le processus antonomasique se fonde sur des rapports de ressemblance, de correspondance. Cette fois, ce n'est pas la notoriété qui joue un rôle, mais plutôt le principe de proximité ou de convergence. Les locuteurs n'ont aucune connaissance de cette valeur analogique qui s'articule aux dénominations (le verbe anglais «to  scrabble » avec le sens de « fouiller », « chercher à tâtons, en piochant »,  aboutissant à la marque déposée du  jeu de société Scrabble). Néanmoins, la conversion des noms communs en nom propres n'admet pas le principe de discordance par rapport au prototype de référence. Elle est régie par la règle d'un sémantisme motivé. Le sens de ces mots ou  signes linguistiques est rendu, disons plus épais, plus touffu. L'antonomase boude les néologismes incongrus ou les métaphores et périphrases alambiquées de la Préciosité.

Les toponymes, hydronymes, odonymes ou oronymes, ergonymes ou pragmonymes, trouvent fréquemment leur origine dans des noms communs. Une catégorisation qui, toute au long de l'histoire, n'a jamais été menacée de pénurie.

La capitale septentrionale Lille doit  sa dénomination au fait que la ville était entourée par la rivière de la Deûle : elle était appelée « l'isle ». Le toponyme obtenu rend compte d'une description exhaustive de son référent (caractère insulaire de la cité primitive). Le nom de la ville de Nice vient de la déesse Niké (du mot grec ancien « nikê » qui signifie la victoire, associé à Aθηνᾶ Νίκη, l'Athéna victorieuse de l'Acropole d'Athènes). La ville de Chaumont en Haute-Marne se perche sur une colline désertique. Le toponyme est issu d'une forme latinisée calvi montis, calvus mons (du latin classique calvus, chauve, dégarni, dénudé et du masculin mons-montis (proéminence, colline).

La municipalité de Passavant-la-Rochère, rattachée au département de la Haute-Saône en 1792, doit son toponyme, dit-on, à une devise aux allures de cri d'armes des Comtes de Champagne : « passe avant li meillor ». Il paraît plus probable que le sémantisme soit lié à sa situation (lieu de passage, frontière à partir de 1555 entre le royaume de France et les possessions du fils de Charles Quint, Philippe II, roi d'Espagne). En 1475, Simon de Thysac fonde au lieu dit des Rochiers  - hameau réuni en 1790 avec d'autres communes au bourg de Passavant) -  une verrerie (de l'ancien français du XIIème siècle « rochière », à partir du féminin « roche », emprunté au prélatin « rocca »). L'antonomase braque les projecteurs sur les archives de la communalité. Dans les Vosges saônoises, la commune limitrophe de Selles (zone de captage d'eau potable) tire sa dénomination, sur le format d'un palindrome, de l'ancien français « seille » (latin situla, seau, sitularius, porteur d'eau) qui désignait un récipient, un baquet, une cruche. Le patronyme et le toponyme  Bailleul sont issus d'un nom commun, le « bailleul » avec le sens de rebouteux. Un mot vieilli, dérivé du latin balliculum (l'enceinte), qui a subi une masculinisation sous l'influence des féminins baille (la sage-femme, l'accoucheuse, la nourrice chez Rutebeuf), baillance (la délivrance) et baiselete (la jeune femme).  A noter que de nombreux noms communs, laissés sans postérité, n'ont eu d'autre descendance que des traces toponymiques (toponyme celtique Chamarande, formé à partir du gaulois cam - le chemin - et randa - la limite).

     Le nom de la rivière la Seine (chez Jules César, en latin, Sequana », combiné à une ancienne forme occitane) voulait dire « marais », « marécage ». Le nom de l'archipel des Canaries dans l'océan Atlantique provient du latin « Canariae Insulae » (l'île aux chiens), en raison de la découverte par ses explorateurs de la prolifération de chiens de garenne (ou bien de phoques, surnommés « chiens de mer »).
                         Les noms communs « bougre », « boulgre », « bougresse », « bougrerie », « bougeron », « boujaronner » (de l'italien « buggerone ») proviennent d'un nom propre, la Bulgarie. Dès 841, l'impératrice Théodora, avait pourchassé les « hérites » (les « sodomites » étaient alors assimilés à des hérétiques). Chassés d'Orient, ceux-ci iront se réfugier en Bulgarie. Voltaire n'oublia pas cette étymologie dans le chapitre III de « Candide ou l'Optimisme » (1759) qui met en scène une guerre opposant  les Abares et les Bulgares (allusion perfide de l'auteur  au « postdamite » Frédéric II de Prusse). Le ganymède est synonyme d'homosexuel (le jeune Ganymède, fils de Tros, roi de Troie,  séduisit par sa beauté le dieu de l'Olympe Zeus qui se transforma en aigle pour l'enlever).

Certains personnages de fiction appartiennent à cette catégorie. L'animal de bande dessiné, le Marsupilami,  imaginé par Franquin, est un emprunt savant au latin marsupium, tiré du  grec ancien μαρσίπιον (la poche marsupiale des mammifères aplacentaires). Bécassine, l'héroïne de Jacqueline Rivière et Emile Pinchon, doit son sobriquet à « bécasse » (dérivé de « bec » construit avec le suffixe péjoratif -asse). L'antonomase fournit des denrées alimentaires indispensables à la bande dessinée. Le héros d'Albert Uderzo, Astérix le Gaulois n'est rien d'autre qu'une réduction de la finale du substantif masculin « astérisque » (emprunté au latin médiéval « asteriscus », issu du grec Αστερίσκος signifiant « petite étoile »). Dans le conte philosophique de Voltaire, le nom du héros Candide est une transcription littérale du latin « candidus » (sincère, sans apprêt) et fait partie de la même famille que « chandelle », « candélabre », « candidat », « incandescence », etc... Dans le conte des frères Grimm, l'héroïne éponyme tire son sobriquet familier Blanche-Neige d'un diminutif pléonastique (titre allemand « Schneewittchen » par déformation du bas allemand «Schneeweißchen ». Dans la tragédie en cinq actes de Thomas Corneille (1656), le personnage éponyme Timocrate, le roi de Crète, tient la man½uvre sous une fausse  identité, celle de Cléomène. Son  patronyme est issu de la composition en grec d'un dénominal  (τιμή, voulant dire « valeur », « honneur », et du verbe  κρατώ  signifiant « diriger », « dominer », « régner »). Il fait référence à la timocratie, un régime politique évoqué par Socrate (dialogue « La République » de Platon). Il en va de la même façon pour Sganarelle issu du déverbal inganno (abus, ruse mensonge) emprunté au latin vulgaire puis à l'italien « ingannare » (tricher tromper).

  Il arrive même que toute une série de toponymes contribue à former un seul mot. Le terme argotique et péjoratif  « plouc » est à rapprocher du breton « plouk », « ploe » (la paroisse), sans doute dérivé du féminin latin « plebs, plebis » (le peuple). L'expression péjorative servait à se moquer des paysans de Bretagne, originaires de localités dont le nom commence par le même préfixe : Plouhinec, Plougastel, Plouguerneau, Plouay, Plouha, Ploumanac'h... Certaines dénominations sociales sont lexicalement dérivées de paradigmes devenus des expressions génériques assorties d'une majuscule, qui  fait valoir un rapatriement dans la catégorie des noms propres (Croix Rouge, Croissant Rouge, Saint-Siège). Certains acronymes s'apparentent à cette construction de bases lexicales : mots russe Tcheka 
чрезвычайная комиссия
et Guépéou (rосударственное политическое управление).

L'antonomase ou la rançon de la gloire

     L'antonomase est une faiseuse d'anecdotes glorieuses. Le terme anglo-américain « jeep » est habituellement associé à l'admiration qu'éprouvait un pilote d'essai, James O O'brien pour ce véhicule utilitaire qu'il affubla d'un nom de baptême. Celui d'Eugene the Jeep, une créature fabuleuse créée en 1936 dans la bande dessinée Popeye. A moins qu'il ne s'agisse d'une déclinaison des initiales abréviatives de l'acronyme General Purpose. 

Quasimodo, le personnage de Victor Hugo dans « Notre-Dame de Paris » doit son patronyme à la journée du dimanche de l'octave de Pâques (la fête de la quasimodo). L'anthroponyme se caractérise par l'agrégation de deux mots (locution adverbiale du latin médiéval « quasi » et « modo »). En fait, il s'agit des deux premiers mots de l'introït de la messe de Pâques : (ut) quasi modo geniti infantes, sine dolo lac concupiscamus... Quant au mot « Pentecôte » (issu du grec πεντηκοστή et du latin ecclésiastique pentecoste), il s'applique à la cinquantième journée après Pâques (du verbe hébreu pessah, passer au-dessus, pour célébrer l'épisode des plaies d'Egypte où la mort sautait au-dessus des Hébreux pour les épargner). Le patronyme Huguenot est un emprunt au suisse alémanique Eidgnossen (les « confédérés » protestants qui avaient noué un serment). On l'observe une fois de plus : certains emprunts ou transferts nécessitent une activation, sans parcimonie, de connaissances extralinguistiques. Le système Bluetooth, littéralement en anglais « la dent bleue », doit sa dénomination au roi Harald Ier, surnommé Harald Blâtand (à la dent bleue), un monarque qui avait unifié le Danemark, la Norvège et la Suède. Harald avait les dents gâtées, disent les uns, d'autres prétendent qu'il adorait les myrtilles, fruit qui colore les dents d'une couleur bleutée. L'attribution de ce mot composé Bluetooth s'explique par le fait que le fabricant suédois Ericsson s'est associé à Motorola, Nokia, Toshiba, et Motorola pour mettre au point cette technologie sans fil. La marque automobile Audi résulte d'un rapprochement de mots partageant des propriétés sémantiques communes. L'entreprise August Horch Automobil Werke, dont le sigle est à cette époque déjà protégé par un label déposé, doit trouver un autre nom. La labellisation fait abdiquer toute part de liberté à la construction antonomasique. Selon l'anecdote, August Horch entend le fils de son ami Franz Fikentscher décliner la devise juridictionnelle du droit latin : audiatur et altera pars... Il se rappelle alors que son propre patronyme est dérivé du verbe « horchen », signifiant tendre l'oreille, écouter (latin audio, audire, entendre). Le tour est joué... Ces exemples montrent, a contrario, que l'antonomase peut dépouiller l'inventeur de son exploit et ne servir en rien la réputation de l'éponyme. Difficile pour elle,  lorsque le patronyme est imprononçable, d'offrir une visibilité au créateur de génie (les figurines Lego du danois Jens Nygaard Knudsen, par exemple). 

On trouve toutes sortes de cas de figure. Les roberts désignent familièrement les seins d'une femme. La langue populaire à gardé le souvenir de la marque Robert des premiers biberons à tétine de caoutchouc, fabriqués industriellement à la fin du XIXème siècle. L'anglicisme « gadget », en usage dans la langue française à la fin du XIXème siècle, est sans doute dérivé d'un nom propre, celui de l'ingénieur Emile Gaget, ami d'Auguste Bartholdi, qui, lors de l'inauguration à New-York de la statue de la Liberté le 28 octobre 1886, remit aux invités officiels une réplique miniature avec son nom gravé sur le socle (les feuilles de cuivre de la statue monumentale avaient été martelées et assemblées aux ateliers Gaget, Gauthier et Cie, rue de Chazelles à Paris, en 1872).  Du fait d'un défaut de prononciation des anglo-américains, « gaget » serait devenu « gadget »...

     Les chiens de secours en montagne (les « saint-bernards »), utilisés au col de Mont-Joux (devenu aujourd'hui le col du Grand Saint-Bernard), doivent leur dénomination à cette région montagneuse où ils furent entraînés au sauvetage.  Le toponyme est issu du prénom masculin  « Bernard », d'origine germanique, qui a servi également de nom de famille (Bernaud, Bernier, etc...). Ce composé est issu en fait de deux mots : le substantif allemand « der Bär » (l'ours, symbole de puissance dans les mythologies germaniques) et l'adjectif « hart », (littéralement, ours puissant, viril). Le nom commun assorti de son caractérisant a donné naissance à des noms propres. Et réciproquement. La bénarde est une serrure à clef qui provient du nom de celui qui l'a fabriquée.  D'autres prénoms se mettent au service de la construction antonomasique. Il en va ainsi pour « renard ». Qui se souvient du « Roman de Renart » ? Ce patronyme médiéval remonte au francique « Reginhart », ensuite  latinisé en « Reinardus », qui a fini par supplanter tardivement le nom commun « goupil » (latin vulpiculus).  Le nom propre « Reginhart » est un composé de « ragin » (substantivation d'une racine verbale avec le sens de « conseil » et du qualificatif « hart »). Restons dans le domaine de la fable, pour rappeler les nombreux renvois néologiques de La Fontaine, empruntés à Rabelais (« Raton », « Ratopolis », « Rodilardus », « Grippeminaud », « Raminagrobis » pour désigner les rats et les chats). Dans sa fable écrite en 1671 et intitulée « Le Singe et le Chat » (Livre IX, fable XVII),   Bertrand et Raton forment un duo de lascars. Le prénom masculin  Bertrand  n'est pas choisi au hasard par le fabuliste.  D'origine germanique, il se compose de «berht » qui veut dire « brillant », « illustre » et de « Rabe », le « corbeau » ! Les créations onomastiques de Molière, notamment dans « L'Ecole des femmes », sont autant d'½illades adressées au public : Agnès (grec ἁγνός, chaste, pure, vierge), Arnolphe (le règne du monarque), Chrysalde (grec χρυσαλλίς, celui qui parle d'or). Le théâtre aux XVIème et XVIIème siècles, on l'oublie, a multiplié les entrées en chicane des antonomases tout en favorisant largement la normalisation et l'uniformisation de la langue française.

       Somme toute, tout nom propre (patronyme, prénom, sobriquet) n'est qu'un nom commun dont le sémantisme s'est effacé. Ce qui vaut pour les noms de saintes et de saints dans le calendrier liturgique. Le prénom Marguerite est emprunté à un nom commun persan margaritis, aboutissant au latin classique « margarita », signifiant « perle » (en ancien français « margerie », puis au XIIIème siècle « margarite » - dans le roman de chevalerie Aucassin et Nicolette, la « flors des marguerites » désigne la pâquerette). Le substantif s'applique bien sûr à la fleur, mais aussi, par spécialisation, à un câble, un cordage, à des rondelles d'enclume, à un mécanisme de dactylographie, ou à un instrument de mégisserie. Dans la même famille, le cou mamelonné de la chèvre, le cocktail givré au sel fin, la pie, la margarine, etc... Dans la langue allemande, le prénom Gretchen est l'équivalent de notre diminutif Margot (usage ironique en français pour parler d'une fille délurée ou de petite vertu) et de l'anglais Maggie. Prénom qu'on retrouve dans une tournure idiomatique outre-Rhin : « Das ist genau der Kern des Problems, das ist die Gretchenfrage » (par allusion au personnage de la pièce de théâtre de Wolfgang von Goethe, « Faust. Der Tragödie erster Teil »).

Antonomase et patronymisation

Les noms de famille issus de noms communs (comme Meunier, Charpentier, Barbier) sont les meilleurs candidats aux emplois antonomasiques : ils remplissent une fonction d'identification, obéissant à un rituel de nomination marqué, lui aussi, par le principe de notoriété.  Ces usages fixent une identité sociale reconnue. Les patronymes forment une catégorie de dénominations qui s'associent à une descriptivité référentielle, à une représentation de l'individu. Représentation qui établit un lien avec une activité manuelle, une occupation professionnelle (Boulanger, Maréchal, Verrier, Potier). L'appellation descriptive (assortie ou non d'un déterminatif soudé) apparaît souvent assez transparente étymologiquement (Tisserand, Lardier, Boucher, Fagot, Vacheret et autres dérivés de « vacher », par exemple)  Elle situe l'individu de manière notoire  dans une communauté de travail, détermine un statut dans la société (Vilain, paysan libre à l'époque médiévale, Papelard (le faux dévot, décrié par Rabelais dans l'évocation du pays de Papeligosse, de l'île de Papefigues). Ces emplois antonomasiques reposent invariablement sur le principe d'une reconnaissance de l'activité particulière visée (Molinier, de l'ancien français « molnier » pour le meunier, dérivé des formes latines « molere », « moles » qui donneront par ailleurs le verbe « molester »).

     Ajoutons à ce recensement les formes patronymiques qui se réfèrent à des noms anciens, dont l'usage est difficilement reconnu aujourd'hui. Elles suivent les mêmes règles du jeu sans verser dans un symbolisme recherché. Il s'agit, par exemple,  de termes d'outillage qui, par extension, ont servi de surnom à ceux qui les utilisaient : Moulin, Molis, Molinier (bas latin molinum,  féminins molina, mola, le moulin, la meule), Butet (outil des maréchaux-ferrants pour le ferrage des chevaux),  Cognet (latin médiéval  cuneata, dérivé du masculin cuneus), Hachette (du francique *hapja, diminutif en ancien français « hachete »). Ou bien de lieux de travail artisanal : Laforge (latin fabrica, atelier d'artisan, le maître de forges),  La Grange (gallo-roman granica), Fournier (ancienne forme forn, le four), Grenier (latin classique granaria, le grenier), Laporte, Barrière, Thuillier ou Tuillier (latin tegula, la même origine est décelable dans l'appellatif Palais des Tuileries, construit à partir de 1564 sur la plaine de la Sablonnière à l'emplacement d'anciens ateliers de tuilerie qui furent rasés). Le latin faber (ouvrier, artisan) donnera Fabre, Fevre, Faivre, Lefèbvre. La forme allemande der Schmied (le forgeron) donnera Schmidt, Schmeitz, Schmitt et tritschler (le beau parleur, le bavard, dans le Bade-Wurtemberg, verbe tratschen, bavarder, jacasser) le nom de famille Tritz.  

Les antonomases patronymiques ont partie liée avec les items du lexique topographique, hydrographique, orographique : La Montagne, La Fontaine, Beauchamp (maître à danser du roi Louis XIV), Clapiers (ancien français clapier, amas de pierres). Beaumarchais, le pseudonyme du dramaturge Pierre Augustin Caron, fait partie de ces appellations légales liées à un petit fief transmis par héritage. Appellations dérivées d'un lopin de terre, dont se moque Molière dans une scène de « L'Ecole des femmes » où il étrille son rival Thomas Corneille affublé d'un faux nom, Monsieur de l'Isle : « Quel abus, de quitter le vrai nom de ses pères, //  Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères ! // De la plupart des gens c'est la démangeaison ; // Et sans vous embrasser dans la comparaison, // Je sais un paysan, qu'on appelait Gros-Pierre // Qui n'ayant, pour tout bien, qu'un seul quartier de terre, // Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux, // Et de Monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux ».

On peut produire les mêmes remarques au sujet des titulations romanesques (Gnathon, Ménippe, Ménalque de La Buyère) ou des noms d'emprunt et pseudonymes de fantaisie dans le domaine des arts et de la littérature (George Sand, déguisement d'emprunt d'Amantine Aurore Lucie Dupin, issu du latin « pinus », Pierre Loti, surnom tahitien désignant une fleur tropicale).

Au prix de quelques retouches, la nomenclature zoologique ou botanique a motivé également de nombreuses dénominations patronymiques : Colbert (Ministre des Finances  Louis XIV, mais aussi une ville, un comté, un fleuve de l'Etat de Georgie aux Etats-Unis,  par abréviation du féminin latin « colubra », la couleuvre, représentée sur les armoiries de la famille), Pichette, Pichetti (ancien français pichier, le pichet), Louvois (dérivé toponymique du maculin latin lupus), Fouquet (diminutif de foulque, du latin classique fulica, l'oiseau de mer, nom vulgaire en moyen-français de l'écureuil), Mademoiselle des ¼illets, Mirabeau, Citron, etc...

   Certains noms communs, affublés d'une majuscule, arpentent des sillons parallèles se rapprochant de la paronomase (reprise d'un nom propre par la périphrase ou bridée par la synecdoque). Le substantif est néanmoins relié explicitement au nom propre, son référent originel. Dans le contexte phrastique, le mécanisme référentiel tire sa force d'une coprésence ou d'une connotation (l'Orateur pour Cicéron, sur le modèle de la périphrase « le dieu de la foudre et du tonnerre » pour désigner Zeus). L'emploi de ces noms communs repose sur une reprise anaphorique et dépend d'un cotexte antérieur (la Botte, ou la Péninsule pour l'Italie, l'Hexagone pour la France, l'Empire du Milieu pour la Chine). Mais cet emploi ne peut se passer d'une relation prédicative avec le référent originel (attribution de propriétés nettement circonscrites à la chose référée).

Afin d'éclairer les tenants et aboutissants des emplois antonomasiques, certains grammairiens distinguent deux axes d'identification du référent : le type prédicatif in praesentia et le type référentiel in absentia. Dans cette différenciation s'applique le même mécanisme que celui qui affecte l'image métaphorique (métaphore avec double indication du phore et du thème, dite « in praesentia », ou information sémantique assignée in absentia au seul terme tropique).

                 Le pseudonyme le plus célèbre, celui du dramaturge Jean-Baptiste Poquelin, trouve son origine dans l'appellation de lieux-dits comme Moliere, Molliere. Contrairement à l'illustre patronyme Molière, ils sont encore dépourvus au XVIIème siècle de signes diacritiques.  Moliere est un toponyme doublet de « meulière », (carrière de pierres siliceuses et calcaires d'où l'on tire les meules de moulin). La dénomination « pierre de moullere » est dérivée de « meule » (« muele » dès le XIIème siècle), dérivation sans doute influencée par l'ancien provençal « moliera ») qui trouve son origine dans le latin classique (féminin « mola, - ae » et « molaris », s'appliquant également à la dent molaire). Quant aux termes « mol » ou « molliere »,  ils pouvaient désigner également un terrain bas, marécageux, où pouvaient sourdre de petites sources  et s'enliser le bétail.

La microtoponymie induit des effets à long terme : elle porte en héritage les traces matérielles et les logiques d'attribution laissées en javelle  dans les chaînes anthroponymiques.
 
Hybridations hypostatiques

Alors que le temps a effacé jusqu'au souvenir du mot source, tracer la piste native d'un nom propre relève, nous l'avons mentionné déjà,  de l'exploit. Cependant, les conversions ne doivent rien au hasard. On ne forme pas un mot à partir de n'importe quel autre. Linguistiquement, il est toujours motivé.

Après une circulation dans le lexique courant, le nom commun finit par trouver un emploi sous forme de nom propre dans un autre répertoire que la langue familière, celui du théâtre par exemple. La « pimbesche », mot répertorié chez Antoine Le Maçon, désigne au XVIème siècle une femme prétentieuse (« Dictionnaire du moyen français », aux éditions Larousse, de A.J. Greimas et T.M. Keane). Selon certaines sources, le mot proviendrait d'un déverbal (ancien français « bechier ») qui s'appliquait aux femmes fainéantes à qui il faut mettre le « pain au bec ». On s'aperçoit que l'antonomase aboutit à une désignation dévalorisée, aux connotations très péjoratives. Dans la pièce de Jean Racine « Les Plaideurs » (comédie en trois actes représentée en 1668), le bourgeois Chicaneau étrille une comtesse dans sa tirade : « Haute et puissante dame Yolande Cudasne // Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et acetera » (acte II - scène IV). L'éponyme correspondant avec le prototype de la plaideuse geignarde, va perdre son essence anthroponymique (neutralisation de la monoréférentialité) et basculer dans la catégorie grammaticale des noms communs qui perdent de vue l'identifiabilité de leur référent. Il n'est pas besoin d'avoir en tête la tirade de Chicaneau ou d'extirper de l'anthologie théâtrale les apparitions de ce personnage parangon pour appréhender les corrélats sémantiques de « pimbêche » (femme sotte et prétentieuse, minaudière et vaniteuse). L'antonomase ne transforme peut-être pas les mots en statues de cire. En revanche, elle se met au service des aptitudes d'appropriation développées par les usagers de la langue. Cette réversibilité de la « recatégorisation » se vérifie dans un grand nombre de lexèmes devenus des noms de personne. Le personnage de Molière, l'une des origines de la diffusion de « tartuffe », a pour référent pivot l'ancien français « trufe », « trufer », « trufoier » (tromper, dans le fabliau du XIIIème siècle « Les Trois Aveugles »), puis le latin tardif « tufera » (neutre « tuber » du latin classique) et  l'italien « truffa » (la truffe, puis par analogie, la duperie, la tromperie). Cette bifurcation double du signe (fonctionnement hybride sous un angle de vue diachronique) apparaît comme l'une des caractéristiques de l'antonomase, une figure qui est loin d'être casanière dans le domaine de la catégorisation grammaticale. Pour la simple raison que la lexicalisation déonomastique n'est pas irrémédiablement captive de l'éponyme, ce dernier ayant cessé de laisser son empreinte dans l'esprit du locuteur. Il convient de distinguer ce qui relève de la pratique de la langue et ce qui relève de la reconstruction étymologique, à pied d'½uvre de la survie du mot-racine : l'exploration du sémantisme des mots (étude des sources, de la genèse, de la structure) s'intègre, elle, dans les savoirs savants. Les antonomases font partie des emplois habituels dans les conversations machinales. Sans impliquer notoirement la réapparition d'une matrice archaïque. La langue familière est jalonnée d'expressions idiomatiques dont on ignore le mode de génération. Le prénom Arthur, aux origines bretonnes assez incertaines, a fait une entrée en scène assez surprenante dans le tour populaire : « tu vas te faire appeler Arthur ». Une expression qui, lors de l'occupation de Paris,  tournait en dérision les recommandations de la Wehrmacht : « Achtung, es ist acht Uhr ! ».  Toute personne produisant l'énoncé corrélatif d'une interdiction n'est pas censée se souvenir de l'avertissement du couvre feu par les troupes d'occupation en 1940.

L'antonomase ne fait que multiplier les clins d'½il, mais sans esbroufe, aux réalités du temps. Elle oblige celles et ceux qui ont vécu ensemble un événement de léguer à la postérité un souvenir qui continuera (ou non) d'exister dans la mémoire collective des usagers de la langue. Sa présence tous azimuts dans les permanentes aventures de la langue démontre que le vide ne demande qu'à être rempli. Elle laisse ses empreintes, à l'image des sauropodes, dans un substrat géologique. D'où cette prédilection de pair-à-pair, à l'affût de toutes les opportunités, qui ne connaît jamais de pénurie.

Dans certaines circonstances, l'antonomase encaisse les sarcasmes. Le ruban scotch  (mot à mot ruban « écossais », alors que l'invention est américaine), un adhésif en cellulose transparent mis au point par l'ingénieur Richard Drew, doit sa consécration en tant que marque déposée à un défaut de ce produit destiné aux peintres-carrossiers. Le ruban enduit de colle se décollait lors de la dépose des peintures. L'inventeur Richard Drew, qui aurait lésiné sur la colle aux dires des ouvriers, se fait traiter de « radin » (adjectif scottish, contracté dans scotch whisky, la pingrerie des Ecossais étant demeurée légendaire outre-Atlantique).  Le ruban isolant fabriqué à base de goudron norvégien  par Jonathan Edwards Chatterton ne connaîtra pas d'aussi pénibles déboires. Le sparadrap ou bande Gauthier se contentera d'une réfection latinisée (verbe latin spargo, spargere et substantif masculin drappus), tout comme les pansements pharmaceutiques Urgo (latin urgeo, serrer de près, compresser, comprimer ; le participe adjectif urgens étant à l'origine des trousses et services d'urgence) et Humex (verbe latin humeo, humefacio) ou bien les boules Quies (appelées au départ « sourdines », boudant la référence au pharmacien parisien qui les confectionna, et se contentant de l'étymon latin).

Il en va de même pour la marque « Lancôme » du groupe L'Oréal dont le nom n'a rien à voir avec Armand Petitjean qui avait fondé cette maison de cosmétique. En fait,  ce dernier souhaitait donner à ses produits un nom illustre, lesté de références historiques sur le modèle de Brantôme, Vendôme. On lui proposera le nom d'une seigneurie en Touraine érigée en baronnie sous Louis XIII (le château de Lancosme dans l'Indre) et d'un capitaine de Richelieu.
L'antonomase offre aux inventions une visibilité, non pas sur les stands de foire, mais dans les pratiques langagières. Hantée par la filiation, elle lutte contre les contrefaçons en nous amenant à mettre un mot sur les choses, en remplissant les tiroirs jamais fermés du vocabulaire courant. Elle permet de rendre vie aux objets non pas en les faisant fonctionner, mais en permettant à chacun de nous d'en parler.
Pas question de rogner l'ambition de cette figure de style qui ne donne guère l'impression de s'être fait forcer la main. Peu casanière, elle fait feu de tout bois, un peu comme le préfet de police Louis Lépine qui, par un concours créé 1901, s'est attaché à la préservation des titres de propriété industrielle et intellectuelles, à la sauvegarde des licences. L'antonomase de nom propre lève un coin du voile sur une prise d'otage (le patronyme d'inventeurs talentueux dans certaines occasions). Mais parfois non. Parmi les locuteurs, qui se rappelle que le cuir de certains poissons, appelé galuchat, doit sa dénomination à un taxidermiste du XVIIIème siècle, Jean-Claude Galluchat ? Que le bristol (carte de visite, terme emprunté à l'anglais Bristol-board) provient de la ville du Royaume-Uni, Bristol, spécialisée dans les cartonnages ?

Note conclusive

L'antonomase ne fait pas partie de ce qui disparaît du jour au lendemain, sans laisser de traces ni d'explications. Même si elle est parfois tourmentée par la corrosion du temps, elle parvient tout de même à nous faire connaître le fin mot d'une trame historique, quelquefois assez facétieuse. Elle gagne en contagiosité au rythme des découvertes scientifiques, des mutations technologiques. En fait, pour tenir la distance, elle a besoin d'un fond de roulement. In fine, ce sont les acteurs de la communication qui décident de son émergence dans les échanges. En privilégiant les créations néologiques les plus rentables. Il n'y aura pas de plan de relance. L'antonomase partage le même destin que la catachrèse. Sans déjouer les conventions flexionnelles ou dérivationnelles (passage d'une catégorie grammaticale à une autre), elle s'échine à enrichir un stock lexical indispensable pour nos échanges au quotidien.
 
Finalement, elle ne cesse de nous regarder vivre...
 
                                             Travail personnel du professeur, B.Mirgain


L'antonomase. Un scénario simpliste ?

Bibliographie

*  « Un bonbon sur la langue. On n'a jamais fini de découvrir le français », de  Muriel Gilbert - éditions La Librairie Vuibert – 2018

* « Pourquoi sont-ils entrés dans l'histoire ? », essai de Stéphane Bern, éditions Albin Michel, 2019

* « Mythologies du vocabulaire » de Michel Friedman, aux éditions des Mille et une nuits

* « La clé des noms », chronique de Jean-Louis Beaucarnot - lemaginteractif@ervmedia.fr


Liens avec d'autres articles sur le même sujet :

https://bmirgain.skyrock.com/3272739472-L'ANTONOMASE-A-LA-DEROBADE.html

http://bmirgain.skyrock.com/3271946978-POUR-UNE-POETIQUE-DE-LA-PARONOMASE.html
 
http://bmirgain.skyrock.com/2166473347-LE-DETOURNEMENT-CATACHRESTIQUE.html
 
http://bmirgain.skyrock.com/2138043447-DEFINITION-DE-LA-CATACHRESE-ETUDE-DES-TROPES.html
 
http://bmirgain.skyrock.com/2307778163-De-la-robe-a-la-catachrese-enrober.html
 
http://bmirgain.skyrock.com/3200216891-L-OXYMORE-Definition-et-exemples.html
 
http://bmirgain.skyrock.com/3247880588-FIGURES-DE-STYLE-TABLEAU-DES-PRINCIPAUX-PROCEDES-DE-STYLE.html

https://bmirgain.skyrock.com/2660447282-FAUSSES-ETYMOLOGIES-VRAIES-MYTHOLOGIES.html

https://bmirgain.skyrock.com/3294068108-APPELONS-UN-CHAT-UN-CHAT-ETUDE-DE-LA-METAPHORE.html

https://bmirgain.skyrock.com/3294068022-HYPOSTASES-LE-PARTICIPE-PASSE-SUSBTANTIVE-AVEC-COMPLEMENTATION.html

https://bmirgain.skyrock.com/3286248934-SUBSTANTIVATION-DES-PARTICIPES-PASSES-ET-VOCABULAIRE-DE-LA-GASTRONOMIE.html
                            La production antonomasique de sens 

L'antonomase est une figure de style qui consiste tout simplement à remplacer un nom commun par un nom propre ou bien l'inverse, un nom propre par un nom commun (ce qui vaut pour l'expression « le Malin » en lieu et place de Satan, le Démon - Marouzeau 1933). Il en est de même pour le personnage du Misanthrope de Molière (en grec  signifie «qui hait les hommes», terme compose du verbe «détester, tenir en haine» et du substantif  « homme»).

L'antonomase lexicalisée elle est une variante de la métaphore selon Gibert, une métonymie selon Lamy et Henri Morier, de la synecdoque selon Fontanier et Du Marsais, une variété de métonymie-synecdoque d'après le philologue Georges Molinié (« Dictionnaire de rhétorique » - 1992). Cette figure peut se présenter sous la forme d'une tournure périphrastique (« le père de la Victoire » pour parler de Clémenceau).

Ainsi, un don Juan, un Harpagon, une Pénélope, un Apollon, un Adonis, un Staline, un Pol-Pot, un Michel-Ange  signifient respectivement : un séducteur, un avare, une femme fidèle et vertueuse, un bel homme, un dictateur sanguinaire, un grand peintre.

  L'étymologie remonte au latin « antonomasia », dérivé du grec ἀντονομασία (composition de ἀντί, « mis à la place de »,  et de ὄνομα, « nom »). Les noms propres, d'après les linguistes, se construisent avec un déterminant toujours contraint. En tant que désignateurs, ils n'admettent pas d'antonymes, de synonymes ou d'extensions (par relation d'hyponymie). Ils font partie de la catégorie nominale, des substantifs, en tant que désignants individuels, spécifiants ou classifiants. Comme toute autre forme de nomination, l'antonomase implique un positionnement de celui qui parle envers ce dont il parle (le référent). Il s'agit bien d'un détournement tropaïque puisqu'on fait prendre au mot une signification spécifiante qui ne fait pas partie de sa signification propre.
Dès son plus jeune âge, le petit humain fait usage de l'antonomase. Dans les crèches, au milieu des Lego, les enfants parlent de Bambi pour évoquer le faon de biche (par référence au film d'animation de Walt Disney sorti en 1942).

     Une bécassine est un oiseau migrateur et caractérise, par dérivation analogique, une femme niaise (mot issu de « bec » assorti de la suffixation péjorative «-asse», bécasse au sens figuré s'applique à une femme d'aspect ridicule, ou à une jeune fille sotte, avec pour synonymes grue, oie, dinde). L'image de la provinciale primesautière a été récemment mise à l'honneur par la page d'accueil de Google (l'antonomase signale sa présence par un doodle, gage d'un succès du personnage de bande dessinée). Bécassine a été créée par Pinchon qui publia le premier numéro de la série en 1905, dans «La Semaine de Suzette». L'antonomase est une entité double: des mots particuliers - noms communs ou adjectives - équivalent à des noms propres («hermétique » / dieu Hermès; «marionette», «mariole» / Marie ; « draconienne » / aristocrate athénien Dracon ; « daltonien » / chimiste John Dalton, « pavlovien » / physiologiste Ivan Pavlov ; « pavlova » / ballerine russe Anna Pavlova ; « boycotter » / Charles Cunningham Boycott ; « galvanisation » / Luigi Galvani ; la « berline » / ville de Berlin ; « la limousine » / Limousin ; « macédoine » / Macédoine ; « bernard l'hermite » / pagure ; « robinsonnade » / Robinson Crusoë ; « un macchabée » / Judas Macchabée  / « la guillotine » / médecin Joseph Ignace Guillotin). L'accrochage à un nom propre emprunte quelquefois des sentiers détournés. Le verbe « limoger », par exemple, prend le sens de « destituer », de « révoquer ». Pendant la guerre de 14-18, le général Joffre avait assigné à résidence les officiers incompétents dans la ville de Limoges.

L'antonomase éponyme : un nom propre modifié comme une sublimation du banal ?
                Une antonomase est un procédé qui vise à remplacer, en vue d'une expression plus particularisante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun. On dira, par référence à la pièce de Molière, un Tartuffe pour un hypocrite (ce dernier étant directement repris au personnage Tartufo de la comédie italienne). Le théâtre est particulièrement généreux dans le domaine de la production d'expressions nouvelles. Soit l'expression « jouer les Philaminte ». Elle est porteuse de sens si l'on se souvient de l'esprit compliqué de Philaminte, une femme pédante et orgueilleuse convoitant toujours le langage soutenu : « On n'en peut plus, on pâme, on se meurt de plaisir... » (« Les Femmes savantes » - 1672 - Molière). La poésie n'est pas en reste : « Regrettera qui veut le bon vieux temps // Et l'âge d'or, et le règne d'Astrée // et les beaux jours de Saturne et de Rhée... » (Voltaire - Le Mondain - 1736).

On peut considérer l'antonomase consacrée, courante,  comme une métaphore figée.  Ce qui vaut pour la série suivante, empruntée à la matière moliéresque : un harpagon, un amphitryon,  un scapin, un don Juan, un tartuffe. Le roman, la fable, le conte sont des sources inépuisables d'inspiration (un don quichotte, un gavroche, une dulcinée). Le prénom Dulcinée (héroïne du roman courtois ou chevaleresque) est construit à partir du latin « dulcinea » (douce). Le nom commun « renard » qui a par ailleurs supplanté « goupil » (du diminutif latin « vulpecula », issu de « vulpes »), provient d'un nom propre tiré de récits ou fabliaux (francique germanique Reginhart, relatinisé sous la forme « Reinardus »). Dans « Les Contes de ma mère l'Oye » de Charles Perrault (1697), la petite souillon chargée de garder les cendres se prénomme « Cendrillon » (substantif « cendre » assorti du suffixe « -illon » représentant le diminutif latin «-icula »). Dans les interstices de la littérature vont être forgées de nombreuses dénominations spontanées.

Par exemple, un gavroche (personnage de Gavroche dans les Misérabes de Victor Hugo) est la dénomination stéréotypée du « titi parigot » (titi est un mot d'origine picarde, vraisemblablement). L'enfant de la rue sera plus tardivement appelé « poulbot », par référence aux réalisations du peintre Francisque Poulbot [1879-1946] qui représentaient ces gamins du trottoir parisien. Toute notre gratitude au mémorialiste  Georges-Emmanuel Clancier qui fait défiler trois antonomases successives dans le portrait qu'il crayonne à propos de l'écrivain Luc Estang : « je trouvais au poète [...] un air parigot, et même à certains moments, un peu gavroche ou poulbot » (« Le temps d'apprendre à vivre. Mémoires 1935-1947 » - éditions Albin Michel - 2016).

On trouvera sous une forme adjectivale des emprunts aux personnages de romans illustres (« donquichottesque », « gargantuesque », « pantagruélique », « lilliputien », « rocambolesque », « vidocquien », etc...) ou de pièces de théâtre (« guignolesque », « don juanesque », « ubuesque »). Parfois sous la forme de certaines tournures génitives avec complément prépositif : « les argentiers de la lignée des Rastignac », « l'un des adeptes de Savonarole ». Les adjectifs ou substantivo-adjectifs, les participes présents substantivés, qui sont dérivés de noms d'auteurs, forment une matière linguistique plutôt envahissante (« dantesque », « marotique », « cornélien », « moliérien », « moliériste », « moliérâtres » « pré-moliéresque », « sadique », « masochiste », « kafkaïen », « hugolien », « orwellien », « nérudien », « verlainiste ». Sans parler des doublets (« janséniste arnaldien », « mistralo-maurassien »). L'antonomase se met au service d'une démarche classiste dans le domaine philosophique (« cartésien », « cartésianiser »,  « pascalien », « pascalisme », « pascalisant », « machiavélique », « néo-heideggérien », « noltien », « nietzschéisme », « beauvoirien », etc...), mais aussi dans les sciences (« newtonien », « gobinisme », « parkinsonien », « salmonellose »).  Le choix de la construction adjective aboutit à des compositions, souvent synonymes, à des transformations, évoluant facilement vers une recatégorisation substantive (par suffixation nominale).

Dans la grande majorité des cas, le dérivé renvoie obligatoirement à une personne précise, à une identité primitive (« marivaudage », « hugolien », « des images warholiennes », « un scénario hitchcockien »), mais il peut présenter parfois des ambiguïtés (la suffixation participiale « pascalisant » se réfère à Blaise Pascal, mais peut désigner aussi certaines pratiques religieuses des paroissiens).

    La pantonymie permet de désigner quelque chose par un terme plus générique, dans l'ordre de l'hyperonymie (rapport d'inclusion par rapport à une totalité englobante). D'où certains accouplements passe-partout, des accrochages à plusieurs noms propres, (protypes d'un même ensemble générique), qui font surgir des clichés éculés (« les horlas qui hantent nos cauchemars comme des mains étrangleuses » - « Le Horla » - Guy de Maupassant - 1887 ; « le clochemerle à la libanaise des élections municipales » - roman « Clochemerle » de Gabriel Chevallier - 1934). La combinaison de deux patronymes en tant que mots vedettes répond au souci de géométriser les comportements, à des fins de classification. Tout repose sur une relation transitive, sur une comparaison entre les caractéristiques de la personne décrite avec l'éponyme en tant que concept générique : « les Castor et Pollux » (les Dioscures, fils de Léda dans la mythologie grecque), « les Tristan et Yseut » (version archaïque de Béroul). L'antonomase  ressasse des lieux communs. Elle est actrice d'images autobiographiques, allégoriques, symboliques, de figures iconiques. On citera les connexions suivantes constructibles à l'infini avec un  un syntagme prépositionnel : « Ubek et Rica » (« Lettres persanes » - Montesquieu - 1721) ; « les Montaigu et les Capulet » (« Roméo et Juliette » - Shakespeare - 1562), « docteur Jekyll et Mister Hyde » (« The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde » - Stevenson – 1886), « les Longevernes et les Velrans » (« La Guerre des boutons » - Louis Pergaud - 1912), « les Gibis et les Shadocks » (Jacques Rouxel - 1931). Dans certains de ces exemples, l'antonomase laisse deviner des valeurs oppositives, des paradoxes identitaires. L'antonomase, c'est l'art du clonage...

La mythologie, une rampe de lancement parfaite...

Dans les pratiques verbales, l'antonomase s'accommode d'images convenues d'une grande rentabilité. Les mythes fournissent l'accès à une rétrospective des fondamentaux de son identité double. L'antonomase ne fait pas dans la dentelle lorsqu'il s'agit de napper de sucre une description.  Elle fixe une fois pour toutes une caractéristique psychologique (un narcissique), une identité sociale, morale (une bacchante, une vestale), un trait physique (une force herculéenne, titanesque), des comportements sexuels (un sodomite, une lesbienne, le saphisme, l'hermaphrodisme), etc... Elle permet une caractérisation intensive et connaît des degrés de désignation. L'antonomase manifeste la puissance, magnifie la beauté ou la laideur, commémore des emblèmes inscrits dans la mythographie et gravés dans notre consience collective. Elle s'autorise des embardées dans la rhétorique épique (adjectifs homériques), au gré de notations fortes, accrochantes, avec la patine de l'hyperbole.

Tout phénomène de ressemblance avec un modèle historique, avec un archétype du mythe, fera naître des idiomes proches du stéréotype ou des poncifs de l'éloquence : jouer les « Cassandre » (ou les « Protée »), les « Pénélope », les « Messaline », « les ciseaux d'Anastasie » (allégorie de la censure, « celle qui ne meurt jamais »). C'est bien connu, les meilleures confitures se font dans les vieux pots ! Comme le fait remarquer B. Dupriez dans son « Gradus », les Grecs donnaient aux années le nom de magistrats (l'archonte éponyme), et aux villes des noms de dieux ou déesses (Athènes). L'antonomase éponyme est une mise en perspective de nombreux personnages mythologiques, qui autorise même les formulations périphrastiques les plus lénifiantes (« telle Vénus sortie de son coquillage », « le rocher de Sisyphe » pour symboliser une tâche interminable ou impossible).

Le mythe est donc un terreau fertile pour la fabrication antonomasique : Aphrodite, Vénus, Cupidon, Adonis... Dieux et déesses, héros, nymphes et autres monstres fabuleux ont largement irrigué le domaine des sciences naturelles (« L'antonomase en question » - Jean-François Guéraud – « L'information grammaticale » - 1990). L'entomologie nous réserve une liste de noms vernaculaires de papillons qui ont été piochés dans les récits mythologiques perses, grecs ou romains (phoenix, actéon, adonis, cupidon, satyre, vulcain, sphynx, saturnis, harpie, mercure, parnassius, etc...). La dénomination normalisée (noms usuels ou appellations vulgaires) a ainsi contribué à la vulgarisation des nomenclatures scientifiques, en minéralogie, en astrobiologie, en cosmochimie... L'éponymie revient au galop dans les sciences psychanalytiques (complexe d'¼dipe, d'Electre, la névrose narcissique).

Les antonomases épiques ou homériques brillent par leur présence dans les discours de locuteurs férus d'érudition et de raffinements littéraires. Au point de provoquer un sourire ironique au coin de ses lèvres (« le Cro-Magnon du XXIème siècle ») et parfois, de troubler la somnolence intellectuelle du récepteur (« un Goliath locuteur »). Les Apaches que l'on trouve dans les romans d'aventures au Far-West n'ont rien à voir avec les freluquets à rouflaquettes du théâtre de Feydeau (dans la pièce « Occupe-toi d'Amélie », les apaches sont des loubards). La langue courante est gorgée du passé de l'art littéraire qui irrigue nos pratiques langagières. Elle s'enrichit aussi de faits de société dont la postérité peut se montrer oublieuse. La place de Grève à Paris doit son nom à la présence de sables et graviers qui submergeaient les berges de la Seine (mot issu du latin populaire « grava »). Les exécutions publiques qui s'y déroulaient amenaient les ouvriers à cesser toute activité pour y assister (faire grève).

L'environnement littéraire fonctionne comme un gigantesque réservoir de néologies. Bien souvent, précise Georges Molinié, la sélection porte sur « l'attribut essentiel » et « le choix d'excellence » d'un individu. Voilà l'idée générale résumée en deux mots : l'antonomase permet de concentrer l'attention sur une singularité des êtres. Singularité que les romanciers savent exploiter pour donner vie à leurs personnages. Il n'y a pas à redire, « c'est au pied des maçons qu'on voit leurs chaussures ». Ce que ne manque pas de souligner Molinié : « On admettra qu'une antonomase de ce type (un nom propre est pris pour indiquer un individu quelconque présentant superlativement les qualités communément attribuées à l'objet dénommé) constitue en réalité un mixte de métaphore et de métonymie-synecdoque » (ibid., opuscule cité).

                   Certains stylisticiens différencient l'antonomase d'excellence (concept d'«excellence typique » de Molinié) de l'antonomase paradénominative. Dans le premier cas, le référent qui est ciblé par le locuteur (l'individu porteur de la du nom propre) est saisi dans sa valeur d'excellence. Une valeur qui marque sur le mode hyperbolique la perfection, la supériorité incontestable d'un individu dans un domaine précis... L'antonomase, à la différence de la périphrase, nous dispense d'énumérer une liste fastidieuse des qualités propres à la personne. D'ailleurs, Fontanier oppose les formes périphrastiques (« l'arbre cher à Minerve » pour évoquer l'olivier, « l'oiseau de Jupiter » pour l'aigle) à l'antonomase en tant que trope formé d'un seul mot. Dans la périphrase, au lieu d'un seul mot on en met plusieurs pour désigner quelque chose. Que le nom propre existe ou pas, qu'il s'agisse d'une remotivation ou pas... La pièce baroque « L'illusion comique » (1636) de Corneille nous en fournit un autre exemple : « Et ce petit archer qui dompte tous les dieux // Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux » (acte II scène 2). L'antonomase est un universel, elle fait surgir une figure exemplaire, tutélaire, dans la besace de nos références. D'après le sémioticien Roland Barthes, cette figure correspond à « l'incarnation d'une vertu dans une figure » (« Communication » - 1970). Ajoutons que l'action de s'incarner doit beaucoup à un contrat mémoriel. De nombreux noms propres n'ont d'autre existence que dans les ½uvres littéraires. Empruntons quelques vers  à Nerval pour servir d'exemple : « Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet, // Tout à tour amoureux insoucieux et tendre, // Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre » (Epitaphe – « Poésies diverses » – 1852). Clitandre (ou Léandre dans la commedia dell'arte) symbolise le rôle d'amoureux, de jeune soupirant sentimental et rêveur dans les comédies théâtrales (Corneille, Molière, Marivaux). La qualification de ce personnage est si galvaudée que, sorti de son décor en carton pâte, le nom de Clitandre ne veut rien dire. D'une façon encore plus sûre pour ceux qui ne visitent pas l'univers du théâtre. L'antonomase, dans ses emplois savants, subit l'effet d'étanchéité du champ littéraire. Au même titre que les constructions étymologiques. Prenons le cas du terme « scrupule ». En latin, « scrupulus » désigne un petit caillou, un gravier minuscule, se trouvant malencontreusement dans le fond des chaussures. On se retient de faire un pas de plus. Ce qui est à l'origine, par analogie, du sens moderne de sentiment d'embarras, de retenue (« avoir scrupule à... »). Le mot latin « gladiolus » a donné son nom à la fleur de glaïeul (catachrèse jouant de l'analogie avec la forme lancéolée de ses feuilles). En tant que figure d'analogie (établissement d'un rapport de ressemblance, rapprochement de traits communs), de substitution, l'antonomase ne tolère pas la moindre distance avec nos réminiscences.

L'antonomase, un drôle d'olibrius ? Sa fonction documentaire nous fait voyager dans le temps...

La synecdoque d'individu est particulièrement fréquente dans les usages. De nombreux personnages de l'époque romaine se voient affublés du nom « Olybrius » (à rapprocher des patronymes des mystères médiévaux ou de la commedia dell'arte avec Matamore, Rodomont – d'où l'on a tiré « rodomontade » - ou Fracasso)... A partir du XXème siècle, « olibrius » désigne un individu bizarre, énigmatique ou fanfaron (« faire l'olibrius », « une espèce d'olibrius »). Si l'appellatif « Pieds nickelés » (personnages de la bande dessinée de Forton inventés en 1908) n'est pas à ranger dans la catégorie des antonomases, en revanche les trois lascars Croquignol, Ribouldingue et Filochard servent de substituts pour représenter des filous à la petite semaine.  Ces noms propres qui deviennent des noms communs courants finissent par se lexicaliser, se vulgariser, en apparaissant dans les dictionnaires  (« une poubelle », « une silhouette », « un mentor » « un chauvin »). Ce sont des synecdoques d'individus (« les amazones », « une harpie »). Une silhouette désigne une figure vaguement esquissée, en souvenir des caricatures dessinées par Etienne de Silhouette, contrôleur des impôts au XVIIIème siècle.  Une poubelle rappelle le patronyme du préfet de police de Paris, Eugène Poubelle, qui  généralisa au XIXème  siècle l'usage de ces récipients  à des fins de salubrité publique. Un mentor est le nom du précepteur de Télémaque  dans l'Odyssée d'Homère (repris dans Les Aventures de Télémaque, roman didactique de Fénelon publié en 1699). Les substantifs masculins  « mécène », « mécénat », correspondent à une francisation d'un patronyme latin : Caius Cilnius Maecenas était le confident de l'empereur romain Auguste (l'antonomase était déjà présente dans la langue latine). Les vespasiennes (urinoirs publics) doivent leur dénomination à Vespasien, qui régna sur l'Empire  romain de 69  à 79. Le terme « chauvin » est issu du nom de Nicolas Chauvin, un fidèle soldat de Napoléon, patriote exalté des armées du premier Empire, blessé à de multiples reprises dans les combats, et qui repartait au combat sitôt guéri. On oublie parfois l'origine de certaines expressions. La cariatide (caryatides en latin impérial, colonne, pilastre, corniche surmontée d'une tête sculptée) doit son nom aux habitantes de Karyes, localité du Péloponnèse). L'argot « godasse » vient du patronyme d'Alexis Godillot, fabricant de brodequins militaires. Un vandale, par antonomase du nom d'un peuple qui avait envahi l'empire romain au Vème siècle, s'applique à un individu qui saccage tout. Même origine pour le mot « hooligan », une famille irlandaise qui s'était distinguée autrefois  par son extrême violence à l'égard de son voisinage.

Les marques déposées constituent une variété d'antonomase de nom propre. On dit ainsi couramment : un kleenex (mouchoir en papier), un klaxon (avertisseur sonore), un frigidaire (réfrigérateur), du scotch (bande adhésive), un solex (motocyclette), un macadam (un revêtement routier à base de goudron), un diesel (un moteur  inventé par l'ingénieur Diesel), etc... Les roberts, qui désignent dans la langue argotique les seins d'une femme, doivent leur sens à une marque  industrielle qui lança en 1888 le premier biberon à tétine de caoutchouc. C'est à la faveur de mises en valeur patrimoniales que se développe notre lexique. Il convient de faire remarquer toutefois que le nom de l'inventeur apparaît plus généralement sous la forme d'un prédicat identifiant (« le télégraphe Chappe », « le  gabarit Freycinet »). L'extension prédicative (prédicat appositif d'identité, selon Bernard Combettes) fait alors l'économie de la préposition (« le télégraphe de Claude Chappe »).

L'antonomase double (la madeleine jeannette, le Paris-Brest), et les doublons en fonction du genre...

                        Ce petit gâteau à la forme oblongue et à la pâte moelleuse, spécialité de Commercy, tiendrait  son nom d'une recette pâtissière attribuée à une certaine Magdeleine Paumier, cuisinière de son état, selon le gastronome de La Reynière (1758-1837). D'autres témoignages à propos du roi de Lorraine Stanislas rendent compte d'une jeune fille native de Commercy qui présenta au souverain, en 1755, ce gâteau en dessert. Madeleine était son prénom (très fréquent à partir du XVIIIème siècle, Madeleine  est emprunté au grec biblique Marie de Magdala, nom d'un village situé sur les rives du lac de Galilée, lui-même dérivé de l'hébreu « Migdal »). Cependant, on dit « pleurer comme une Madeleine » par référence  au personnage biblique s'apitoyant sur la crucifixion. La jeannette est un collier ou pendentif en forme de croix, une jeune fille adepte du scoutisme (par référence à Jeanne d'Arc, la patronne du mouvement scoutiste), une plante à bulbe (le Narcisse des poètes), une planchette pour le repassage des bras de chemise. Il faut  en convenir, le prénom Jeannette  exerce une suprématie dans les noms communs dérivés par antonomase.

N'oublions pas le Paris-Brest, une pâtisserie en forme de couronne fourrée de crème mousseline pralinée, garnie d'écailles d'amandes. Formé par l'agglutination des noms de ville Paris et Brest, il doit son appellation à un boulanger de Maisons-Laffite, Louis Durand (la paternité de l'invention est discutée par le gotha de la gastronomie). A la demande du grand reporter Pierre Giffard, qui créa en 1891 la course cycliste Paris-Brest, Louis Durand aurait conçu ce gâteau en donnant à cette pâte à chou  la forme ronde d'une roue de bicyclette. A noter que « gotha » (almanach, et par la suite avion de bombardement) doit son nom à une ville allemande  de Thuringe, célèbre pour ses relevés des familles princières.

L'antonomase peut avoir, dans des cas rares, la même forme au masculin et au féminin. Rien à voir avec les substantifs épicènes... Une pandore désigne une sorte de luth (grec ancien Πανδώρα, formé de pan et dora, « ornée de tous les dons »), par référence au mythe de la boîte de Pandore. Mais il existe aussi un masculin, s'appliquant cette fois à un gendarme (nom d'un gendarme dans une chanson de Nadaud, datée de 1857 ; patronyme peut-être issu du hollandais pandoer, ou du hongrois pandur).
 
Enfin, la morphologie du mot peut être purement arbitraire. Il peut subir des variations orthographiques, sans pour autant neutraliser le sémantisme du paradigme. Un eskimo fait partie d'une peuplade de l'Arctique. Au début du XXème siècle, la société Gervais a fait un sort à « eskimo » en déposant la marque « esquimau ».

Combinaison des prénoms et élargissements prédicatifs : Marie, Jeanne, Georges et Jean...

La contiguïté des deux prénoms « marie » et « jeanne » a abouti à  des formes combinées. La marie-jeanne désigne une bonbonne de 50 litres (une potie) ou un récipient de 2,5 litres (attesté dès le XVIème siècle). Ce type de bouteille enveloppée d'osier est plus connu sous le nom de « dame-jeanne ». La catachrèse est sans doute à l'origine de ce mot composé : ces grosses bouteilles avec des anses rappelant l'image de femmes posant leurs bras sur les hanches (Dame Jehanne). Le mot était utilisé par les matelots (catalan damajana, italien damigiano, espagnol damajuana, arabe damagana).

La Marie-Jeanne, orthographiée en espagnol « marihuana » s'applique à certains stupéfiants hallucinogènes. Elle provient probablement du prénom de prostituées latino-américaines qui fumaient du cannabis pour oublier leur misère (francisation de l'hispano-américain). Le prénom Georges est issu du latin impérial Georgius, lui-même emprunté au grec geôrgos (agriculteur, travail de la terre, d'où les « Géorgiques » de Virgile, d'où également ce proverbe de notre terroir « A la Saint-Georges, sème ton orge »). Le prénom masculin a donné Georgette (présent dès 1662, dans « L'Ecole des femmes » de Molière). La « georgette » est un bracelet en or ou une étoffe de soie (le crêpe georgette). Plus récemment, un couvert à mi-chemin de la cuillère et de la fourchette...

Le prénom Jean joue un rôle de premier rang dans de nombreux employs lexicalisés, et ceci dès le XVème siècle. Dans la phraséologie populaire, il a toujours désigné le sot, le niais ou le cocu (romans de Rabelais). Cette distinction obligatoire du caractère est un invariant. Les composés du lexique vulgaire comprennent « jean-bête » pour l'imbécile, « jean qui ne peut » pour l'impuissant, « jean farine » pour bouffon de comédie, « jean de la Suie » pour le ramoneur, « jean des Vignes » pour le vin, « jean le Blanc » pour l'hostie chez les protestants, « jean l'enfumé » pour le jambon. Jean des Vignes se dit de l'écervelé qui s'engage imprudemment dans un mauvais pas comme le fit le roi Jean, à Poitiers (en 1346), qui accepta la bataille au beau milieu des vignes. On a dit aussi « le mariage de Jean des Vignes » pour évoquer des amours éphémères. Jean du houx, c'est le nom populaire d'une trique, destinée à vous briser l'échine. Un Jean fait tout est un esprit brouillon qui prétend tout savoir mieux que quiconque. Rendons à Jean Farine ce qui appartenait au Pierrot du théâtre de foire au XVII° siècle, à savoir son imbécillité légendaire. Jean-Jean, c'est un conscrit ridicule, un marin. Un Jean-Jeudi, c'est un mari trompé, parce que dans le Centre de la France, on ne se mariait jamais la journée du jeudi. Je m'en soucie comme Jean le vert signifie « ne pas se soucier d'une affaire ». En languedocien, Yann lou Pec, c'est Jean l'idiot. Un couard, un pleutre se dit un « jean-fesse ».  Faire le Jean Logne, c'est agir de manière louche. Etonner la populace, c'est mener un train de Jean Paris, du nom du fils d'un roi de France. On ne sait plus lequel d'ailleurs. Jeannot  désigne le sot, comme gros Jean, un personage de farce médiévale (“Je suis gros Jean comme devant”, dans la “Laitière et le Pot au lait” de La Fontaine). Jeannot, c'est le rustre lourdaud, sans aucun esprit. Jeanneton, une fille de petite vertu. Au pluriel, le terme  “jeannettes” s'appliquent aussi bien aux filles qu'aux garcons qui passent leur temps à bavarder.

Les antonomases dérivées de prénoms littéraires, entre pantonymie et hyperonymie...

Le prénom féminin « Cosette » est issu probablement du diminutif « chosette » (latin causa), avec le sens de « petite chose »,  assorti d'une tonalité hypocoristique (surnom affectueux). Un prénom qui a été popularisé par « Les Misérables » de Victor Hugo (la fille d'une ouvrière devenue prostituée, le petit souffre-douleur des Thénardier).  La force d'attraction de ce personnage de roman a été tellement forte qu'elle a rendu l'usage de ce prénom littéraire très exceptionnel, au point qu'il est rarement adopté par les familles. En revanche, on le retrouve  dans des tournures impersonnelles comme « la petite cosette des banlieues, des faubourgs, des ghettos, un mélange de Cosette et de Cendrillon », etc...). La rareté de ce prénom dans les usages sociaux a pour corollaire surprenant une persistance à l'associer à l'écrivain. Le critère de notorité, rappelons-le,  fonde le processus antonomasique par lequel le prénom, réduit à sa seule dimension linguistique, est voué à la banalité.
L'antonomase est foncièrement classifiante. Le recours à cette figure renoue avec une croyance ancestrale selon laquelle l'anthroponyme entretient une relation avec les qualités et les valeurs qui lui sont attribuées par son sens étymologique. Le moraliste Jean de La Bruyère [1645-1696] en a tiré le parti que l'on sait dans ses portraits (Les Caractères ou les M½urs de ce Siècle). Le pseudonyme est littéralement porteur d'un destin individuel (Ménalque, Iphis, Ménippe, Diphile, Nicandre, Arrias, Gnathon, Giton, Phédon). En ce sens, le caractère unique du prénom  (comme signe d'exception) permettant de spécifier un individu de la manière la plus originale qui soit, devient par l'antonomase un moyen non pas de signaler la personne, mais d'affirmer son appartenance à une classe d'individus, d'identifier un être ou un état social, un profil psychologique. Pas étonnant que l'antonomase soit la mascotte d'une rhétorique délibérément incendiaire.

La dénomination d'un produit...

Le panettone est un pain brioché enrichi de miel, de raisins secs et autres fruits confits. Il existe plusieurs versions relatives à son origine (le prénom Toni). Il est question d'un certain Toni à la fin du XVème siècle qui se serait endormi lors de la cuisson de son gâteau à l'occasion d'un banquet donné par Ludovico  Sforza dit le Maure (le pan de Toni). Une autre histoire implique un jeune noble qui fit succomber de plaisir sa bien-aimée (la fille du boulanger Toni) en imaginant cette recette d'un pain enrichi.  D'autres légendes invoquent une nonne, s½ur Ughetta (en italien, raisin sec), qui aurait acheté de ses propres deniers les ingrédients de ce gâteau pour gâter ses consoeurs du couvent.

Certains cigares tiennent leur nom de la capitale de l'île de Cuba, La Havane (de l'espagnol habana, patronyme d'un chef de tribu selon certaines sources). Le havane est un tabac fabriqué à Cuba, qui, par métonymie, désigne le cigare.
Dans le domaine des variétés florales, arboricoles, fruitières, l'antonomase assure la prise en charge d'un classement des échantillons, d'un repérage des espèces (les variétés traditionnelles obtenues par hybridations locales, sont rebaptisées au-delà d'un territoire local, d'un terroir d'origine : la poire Baltet, la pomme Nonetti, Marion, mirabelle Prunochio, tulipe Pinochio, etc...). Ces appellations vernaculaires permettent la classification botanique (en pomologie, le répertoire taxonomique concerne 10 000 variétés de pommes). L'antonomase prolonge et signe l'identification générique des variétés (bigarreau Napoléon). La nomination garantit l'authenticité d'une reconnaissance des espèces par comparaison physique.

           De la même façon, l'antonomase accompagne le développement des marques textiles pour les inscrire dans la durée. Elle contribue à l'identité forte des labels (propagandes médiatiques de Bérangère Claire, Adèle, Toka Toka), des griffes de couturiers (Chanel, Prada, Dior, Saint-Laurent, Gucci), des réseaux de boutiques en ligne (Ralph Lauren). L'acte de nomination valorise les produits culturels ou industriels. L'antonomase n'a pas qu'une fonction d'ornement.

       Les breuvages ou les desserts n'échappent pas à l'onomastique.  En 1827, un modeste distillateur de Neauphle-le-Château, Louis-Alexandre Marnier, invente une liqueur inédite à base d'alcool d'oranges amères des Antilles et de cognacs, le Grand Manier. Mais pourquoi « Grand Marnier »? En fait, il s'agissait d'une allusion narquoise à la petite taille de Louis-Alexandre... La bouteille ventripotente Grand Manier va trouver sa place sur les tables du Ritz à Paris, palace dirigé par Escoffier (1846-1935), et fréquenté par le prince de Galles. Ce dernier s'y rendait souvent avec une amie française, Suzette: c'est pour elle que le grand chef Escoffier inventa les crêpes à la liqueur d'orange, les crêpes Suzette ! Escoffier aurait inventé aussi la poire Belle-Hélène, à l'époque où l'opérette « La Belle Hélène » d'Offenbach faisait fureur (plus précisément la sulfureuse Hortense Schneider, dans le rôle titre, et le rideau baissé, la propre maîtresse de l'empereur Napoléon III). Il en va de même pour la pêche Melba, du nom de la célèbre cantatrice Nellie Melba, courtisée par le même grand cuisinier. Finalement, l'antonomase aspire à revendiquer la paternité d'un plat. Les confusions de paternité restent possibles. Qui n'a jamais entendu à la terrasse d'un bistrot: « La césar, c'est pour qui ?». S'agissant d'une salade romaine, on pense à Jules César (César est un nom propre tiré du nom commun caesar, «tiré du ventre de sa mère», d'où la césarienne ou hystérotomie) alors que l'inventeur est un certain Caesar Cardini, maître-restaurateur mexicain qui mit au point en 1924 cette recette (en anglo-américain, « chicken salad» ou « caesar salad»). Pas question pour l'antonomase d'enfreindre les droits souverains de la propriété intellectuelle! N'oublions pas les outils, ustensiles ou acessoires de cuisine: la charlotte de protection (en souvenir de la coiffe de Charlotte Corday, guillotinée le 17 juillet 1793 pour avoir assassiné Marat), à ne pas confondre avec l'entremets (la charlotte russe, qu'on rapproche par hypothèse de Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, l'épouse du roi George III). La maryse, une sorte de lèche-tout, une spatule servant à racler la chantilly au fond d'un récipient (mot correspondant au prénom, non pas de son inventeur, mais de sa nourrice qui pestait lorsqu'il s'agissait de passer la racloire dans les saladiers en cul-de-poule). On s'en rend compte, la paronomase est assaisonnée à toutes les sauces (la sauce du cuisinier François Pierre de la Varenne dédiée au marquis Béchameil, les levures chimiques Ancel, Vahiné, Alsa, etc...). La Société alsacienne de meubles (entreprise de fabrication de meubles pour cuisines) a choisi comme enseigne « Cuisinella » (du latin coquina, en bas latin cocina, complété par le diminutif -ette auquel sera substitué le suffixe latin - ella). La marque “Petit-Suisse” rend homage à un vacher devenu apprenti mitron auprès de dame Hérould dans un village normand. Le nom de baptême de ce produit fait référence au canton de Vaud en Suisse, d'où était originaire ce garcon de ferme.

Difficile de dresser une cartographie exhaustive des emplois de l'antonomase, tant cette figure de sens prolifère dans les productions langagières. Aucune politique d'austérité ne saurait s'imposer à celle-ci.

Sylvain : du nom commun à l'anthroponyme, subissant lui-même une re-catégorisation nominale....

Le prénom “Sylvain” est emprunté au nom féminin “silva, silvae” du latin classique (forêt, bois).  Les Silvanae étaient des déesses forestières, Silvanus le dieu des forêts.  Etymologiquement, l'adjectif silvaticus est à l'origine du mot “sauvage”. Ce prénom va s'appliquer ensuite aux petits génies champêtres (les faunes, en latin “fauni”).  Le dieu de la fécondité Faunus a été confondu avec la figure de Pan, représenté dans toute sa laideur, avec des cheveux hirsutes, une barbe broussailleuse, avec des cornes et un corps de bouc depuis la taille jusqu'aux pieds. Il n'est guère différent des satyres ou des sylvains (il est souvent confondu avec Faunus et Sylvain). Les fêtes des Lupercales rendaient un culte aux faunes, satyres et sylvains (équivalents des Egipans chez les Grecs). Le dieu Sylvain était représenté avec une serpette, une couronne de lierre, de pin, ou de cyprès.  Il servait de croquemitaine, à l'image de notre père Fouettard, pour effrayer les enfants. Un nom commun (“silva”) a donné naissance à un nom propre (Sylvain). De même, le génie rustique Satyrus, compagnon de débauche de Bacchus (du grec ), fournira par analogie le substantif “satyre” avec le sens “homme lubrique” (le terme “satire” est lié plutôt au latin “satura” indiquant un mélange littéraire de formes diverses).).  Mais le nom propre Sylvain, par ricochet, finira par générer à son tour un autre nom commun (un chèvre-pied). Il apparaît plus important dans la construction antonomasique d'identifier l'association (sylvain-divinités forestières) que dans d'autres situations de langage. Il n'est pas besoin pour un quelconque locuteur de maîtriser l'étymologie des noms communs pour valider un énoncé. Ce qui est le cas du substantif “sauvage”, lui-même dérivé de “silva” (homo silvaticus).

Antonomases dérivées de patronymes : se faire nom pour se faire un nom...

La langue laisse traîner de nombreuses notices biographiques. Une mansarde (fenêtre en mansarde, logement mansardisé, grenier mansardé) rappelle l'invention du comble brisé par l'architecte François Mansart [1598-1666].

La « tontine » est une technique patrimoniale (le plus ancien type de contrat d'assurance vie) datant du XVIIème siècle : un pacte tontinier est une convention conclue entre des personnes qui ont acheté un bien immobilier en commun. Cette forme tient son nom de son inventeur, le banquier italien Lorenzo Tonti [1602-1684], gouverneur de la province de Gaète, proche du cardinal Mazarin. Le roi Louis XIII fera de Lorenzo Tonti le parrain du jeune Louis XIV.  Ce qui ne lui portera pas chance, puisqu'il finira emprisonné à la Bastille en 1668. La toute première « tontine » fera son apparition en France en 1689. Rien à voir donc avec les « Tontons flingueurs », titre du film de Georges Lautner. Ni avec le jeu de hasard inventé par les Romains (le « toton », par francisation du latin totum).

Le système de Ponzi est un montage financier consistant à rémunérer les investissements des plus anciens clients par des fonds et liquidités perçus par les nouveaux entrants dans cette chaîne (appelée aussi pyramide de Ponzi). En 2008, le président du Nasdaq, Bernard Madoff, s'est directement inspiré de l'arnaque frauduleuse de Charles Ponzi, orchestrée à Boston en 1919.

Antonomases lexicalisées et non lexicalisées

La lexicalisation des antonomases ne va pas de soi. Bien des processus antonomasiques sont parfaitement ignorés des locuteurs qui peuvent très bien n'avoir aucune idée de l'origine de mégère, blue jean, mécène ou cariatide. La typicité de ces termes leur échappe totalement. Le substantif et adjectif «panique» (effroi qui trouble à la fois le corps et l'esprit, caractéristique qui affecte un sentiment, une mimique, etc...), contre toute attente, est bien, lui aussi, une antonomase. Son sémantisme s'expliquerait en raison de l'épouvante des naïades harcelées par le dieu Pan (« Tiers Livre » - 1546 - François Rabelais). Tous les dérivés proviennent de la même source (péjoratif « paniquard, paniquarde », participe passé « paniqué », adjectivé ou substantivé, verbe « paniquer » interjection « pas de panique ! »).

Caryatide, nous l'avons vu, vient du  grec kαρυἀτιδες, « femmes de Karyes », en Laconie. Ces femmes, réduites à l'esclavage par les Perses, furent condamnées à porter de lourds fardeaux. Elles ont donné leur nom  à des architectures remplaçant les colonnes ou pilastres, pour servir de soutien à une architrave.  Les  habitants de Carie (région du Péloponnèse), raconte Vitruve, s'étaient coalisés avec les Perses (sous le commandement de Xerxès)  pour combattre les autres de peuples de Grèce. Les  Perses perdent la bataille, les peuples de Grèce passent au fil de l'épée les Cariates, et pour commémorer la victoire, ils obligent leurs  femmes à suivre le cortège triomphal, puis  à demeurer debout sur une stèle (dans le but de prolonger le spectacle de l'humiliation). Une autre explication historique est avancée : les femmes de Karyes furent emmenées captives après la destruction de leur bourgade. Elles servirent ensuite de modèle artistique pour les statues construites en forme de colonnes.

Autre exemple, celui du service à la russe, donc au guéridon (mobilier à roulettes placé près de la table des hôtes). Qui se rappelle que Gueridon est un personnage de farce au XVIIème siècle ? Ce petit meuble a pris le nom de ce héros du folklore populaire en raison de la forme humaine de son pied galbé.

La baie des Anges à Nice doit son appellation à un sobriquet attribué à un requin (du latin classique « squatina,-ae », «squatina angelis dum » ou ange de mer ocellé). Les schrapnells (éclats de mitraille) ont été inventés par un officier anglais du nom de Shrapnel.

L'antonomase tautologique, de géolocalisation : la fonction performative de l'évocation toponymique...

Elle est régie par des procédures de redondance. Tout repose sur la reprise d'une information concernant l'inscription, l'implantation géographique. 
De nombreuses antonomases ne se lassent pas des tracasseries des A.O.P. (Appellations d'Origine Protégée), notamment dans le domaine de la fromagerie. Quel village n'a pas baptisé son fromage au lait cru ! Le produit porte la trace de son lieu de fabrication. Pas besoin de tours de passe-passe. L'antonomase fait office de Monsieur Loyal dans le domaine des appellations, ce qui a l'avantage pour le consommateur de ne pas perdre ses repères géographiques. Un coulommiers est un fromage au lait de vache fabriqué à Coulommiers. Ce qui vaut pour le Brie, le Morbier, pour le bleu de Gex, le fromage de chèvre Sainte-Maure de Touraine. Et pour les marques étrangères, l'emmenthal, le gouda, le parmegiano reggiano (francisé en Parmesan).

Il faut quelque fois aller chercher loin les lieux de baptême, quitte à accepter comme Quillet quelques fantaisies. Ainsi, l''expression « boire à tire-larigot » (qui veut dire boire exagérément), proviendrait du jargon militaire (boire à la façon d'un soldat qui « tire la Rigaud », une pièce d'artillerie). Cette même expression tiendrait son origine du nom d'une célèbre cloche de la cathédrale de Rouen (« Dictionnaire encyclopédique Quillet » – Librairie Aristide Quillet – 1934). Cette cloche, très dure à mettre en branle, obligeait les sonneurs à se désaltérer fréquemment pour se donner des forces. Ne parlons pas de la tour du beurre de cette même cathédrale, qui exigerait un long développement à propos du Mardi gras, du Mercredi des Cendres, de la période de carême et du trafic des indulgences... La paronomase se met au service du panégyrique des offices du tourisme. Le moindre petit trou d'eau en milieu urbain pourra être élogieusement comparé à « un petit Saint-Malo à deux pas du centre-ville ».

Donner un nom aux choses relève souvent du bon sens. Pas besoin de chercher loin pour trouver l'origine du nom de la capitale des Flandres, Lille. La cité a été construite sur une île. Ce qui suffit pour justifier le toponyme. D'autres noms communs ont fourni des noms propres sur le même canevas. Le nom géographique « Méditerranée » est un emprunt au latin « mediterraneus » (au milieu des terres, en bas latin « mare mediterraneum »), lui-même formé sur le modèle grec  (de  , « situé au milieu »,  et , « terrestre »). Il en va de même pour les « Antilles » (ante islas, du latin classique insula ; les îles antillaises se trouvant avant le continent).

L'antonomase ne connaît pas les réflexes de dérobade... Dans son environnement, elle paraît relayer un cliché originel plutôt que des notions abstruses (« franchir le Rubicon »). Elle ne cherche pas à tout crin la modernité impalpable. Les catachrèses sont autant de grappins qui lui permettent de servir d'intermédiaire avec le monde concret.

Antonomase et suffixation de dédicace, un processus en autoclave...

           Dans le champ disciplinaire des sciences, les noms des savants sont fréquemment utilisés pour les unités de mesure (pascal, ohm, ampère, volt, watt). En revanche, l'inventeur du processus de vulcanisation n'a donné son nom (Charles Goodyear, sorte de Vulcain des temps modernes) qu'à une marque de pneumatiques. Comme Michelin, avec en plus « la micheline » (autorail muni de pneumatiques). L'identité du découvreur est retenue plus difficilement en raison de la suffixation.

         Le porcelainier Eugène Alluaud [1866-1947] fait partie d'une dynastie de céramistes qui donna ses lettres de noblesse à la porcelaine du Limousin. Eminent minéralogiste, il découvrit  un minerai qui portera plus tard son nom (l'alluaudite, phosphate hydraté de manganèse). La suffixation brouille parfois les choses (exception faite de sertains suffixes argotiques comme « parigot »). Elle dilue la notoriété du référent initial. Ce qui vaut tout aussi bien pour les noms communs, au regard de leur origine étymologique (verbe « arriver », comme contraction de la métaphore ad ripam ire). Tout acte de langage ne nécessite pas une vision rétrospective de l'histoire des mots. Le substantif cesse de paraître singulier puisque l'étiquetage du référent initial n'opère plus dans la relation dénominative. La référence à un individu particulier ne s'inscrit plus dans la dénomination, sauf à procéder à l'effacement du suffixe. Cette observation  tend à démontrer que le marquage du nom propre et son identification n'est pas forcément un préalable à la compréhension d'un message. Que le hamburger, la margarine, le tiramisu ou le mascarpone soient des antonomases ou non, cela n'empêche nullement de comprendre ce  que ces produits désignent et ne contrarie en rien nos caprices nutritionnels. Peu importe l'origine du produit. D'ailleurs certaines appellations sont frelatées.   En Ile-de-France, le kebab est appelé « un grec » (comme le billet de 20 euros) alors que dans la langue turque « dôner kebab » signifie littéralement « grillade tournante ». Pour ce qui concerne  ce sandwich fourré de viande d'agneau grillée à la broche, (une formule inventée par un restaurateur de Bursa, un certain Cevat Iskender ; à l'instar des s½urs Tatin, il avait eu la bonne idée de retourner la position de la broche et d'empiler du charbon à la verticale). Quand les immigrés turcs sont arrivés à Paris dans les années 1970, la communauté grecque était déjà là.  Le contexte des flux migratoires successifs explique cet emploi langagier (qui ne vaut pas pour les sushis, les tacos, les dimsums, l'ouzo, le raki).

Le mot volcan vient du latin « Vulcanus » (nom du dieu romain du feu). Le Stromboli est un strato-volcan qui tire son nom d'un mot signifiant « toupie ». Il se trouve dans les îles Eoliennes (une antonomase, formée à partir du nom Eole, dieu des vents. Ce strato-volcan a prêté son nom par suffixation adjectivale à tous les autres volcans de type explosif et effusif (« des explosions, des activités stromboliennes », « un volcanisme strombolien »). Reste à savoir si le volcan Eyjafjallajökull aurait connu le même succès... L'antonomase fait feu de tout bois. Citons quelques noms chinés en brocante concernant les méthodes de division du travail (« taylorisme », « fordisme », « toyotisme »). Moins connu que les premiers, l'uddevalisme (forme d'organisation initiée dans les chaînes Volvo à Uddevalla en Suède). L'onomastique des partis politiques comprend bien des dénominations qui sont des antonomases du nom propre (gaullisme pompidolien, chiraquisme, mitterandisme, vallsisme mendésien, etc...).

Les emplois prédicatifs : le processus antonomasique dans les constructions prépositionnelles ou appositions...

Les linguistes distinguent l'antonomase purement référentielle (dont la signification fait référence à une personne) de l'antonomase prédicative. A l'image de l'emploi métaphorique, traditionnellement perçu in absentia ou in praesentia. Pour ce qui concerne l'antonomase référentielle, l'individu ne compte guère. Mis à part les spécialistes, qui garde en tête le référent de calepin, massicot, jérémiade ou galimatias ? Sauf à insister sur une prolongation de sens par périphrase (« Bourges, la cité Jacques C½ur »). La démultiplication des réalisations antonomasiques s'explique par ces parallèles récurrents. On  les retrouve en abaondance dans les programmations, aussi riches que soignées, des syndicats d'initiative. L'antonomase s'adapte à ce format de publication, sans autre ligne d'horizon que le souci de séduire. Elle tourne en boucle ce qu'elle archive. La complémentation nominale remplit du volume. On peut même parler d'apposition canonique lorsqu'elle s'applique à l'antonomase : « la petite madeleine,  la reine de Liverdun ». En termes de marketing, ce n'est plus une vérité, c'est un axiome.

L'antonomase peut produire de belles visions et parvenir à instaurer une envolée lyrique, voire une empathie  par notre implication émotionnelle (les appositions grandiloquentes comme « Le grand capital, ce Moloch qui dévore les êtres... »). Emile Zola en était friand. L'antonomase est foncièrement porteuse d'information (« le nez de Polichinelle, de Pinocchio, de Cyrano »). Elle puise dans les images d'archives, elle est encordée à une information immanente, à un matériau porteur d'information qui lui sert d'incubateur. Dans cette mise en mots, l'individu devient signe, symbole, icône ou logo.

Comme l'indique Georges Molinié, l'antonomase recèle une dimension métaphorique. C'est une figure minimaliste qui ½uvre dans le format court, en tant que microstructure. De façon générale, elle n'a d'autre chose à révéler que ce qu'annonce déjà le thème, au point de se rapprocher de la métaphore morte. Contrairement à la métaphore poétique, qui mobilise notre imagerie cérébrale, elle ne cherche pas des éléments de décalage. Même si sa déclinaison tropaïque fait apparaître parfois des mises en relation trop disparates. Notamment dans le domaine de la toponymie. Le plus souvent, pour des raisons phonétiques. Situé en Corrèze et débordant sur la Creuse, le « plateau de Millevaches » est une expression dont le sens est encore discuté par les étymologistes. Un sens qui n'a rien à voir ni avec les salers ni avec les limousines.

        Dans les emplois prédicatifs, l'antonomase se trouve en tête d'un syntagme nominal (syntagme prépositionnel introduit par « de » par exemple). Soit la formulation « le Raspoutine du Kremlin » pour désigner, la paronomase aidant, le président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine. Toute sa cohérence repose sur la relation d'analogie entre le référent d'origine (le confident de la femme de Nicolas II, Grigori Raspoutine) et le référent de la matière discursive (le président Poutine). L'analogie se fondant sur des propriétés supposées ou prétendues communes entre le référent originel et la chose dont on veut parler. Ce qui implique des présupposés : que les locuteurs partagent des connaissances communes pour identifier le contenu métaphorique (les manipulations de Raspoutine à la cour impériale), afin d'établir une relation avec le contexte de l'énonciation. Le nom d'origine dans ce cas précis doit rappeler au récepteur des traits caractérisiques de la chose référée (recatégorisation métaphorique).  Encore faut-il que des traits particuliers semblables fondent la relation de similarité. Ce qui peut être discuté, d'un point de vue idéologique. Ceci dit, plus ces traits sont reconnus, et plus l'antonomase fait l'objet d'une acceptabilité, plus la complémentation « le Raspoutine [du Kremlin] »  est recevable, sur un plan argumentatif, par les partenaires de la relation inter-subjective. La prédication est le repère constitutif de l'énoncé, qui est déterminé par rapport au domaine référentiel (les intrigues de cour de Raspoutine). Même si, en définitive, toutes les relations en jeu dans cette opération de prédication doivent être connues par le locuteur et le co-locuteur, y compris les connaissances à tonalité politique relatives au référent second. L'absence de repérage référentiel (connaissances associées) conduit inéluctablement au décrochage. La complémentation est caractérisante, classifiante, à condition de prendre appui sur une notoriété de nature à favoriser la compréhension du message (« le Raymond Poulidor de la politique », « la libanisation, la balkanisation de la société », « le machisme-léninisme du castrisme », « un regard viscontien sur les noces de sang du capitalisme et du nazisme », « le peuple britannique a terrassé Westminster »). En définitive, comme pour la métaphore ou la comparaison, l'antonomase mobilise nos capacités d'établir un lien d'association. Même si elle ne peut s'offrir, comme nous l'avons dit, les coudées franches ou les décalages incongrus de la création métaphorique. La paronomase est somme toute un procédé novice, un pur cliché obtenu avec deux bouts de ficelle. Sous condition que le rapprochement ou l'altérité soit un élément de notre quotidien. Ce qui ne va pas de soi, d'une langue à l'autre. Une observation que Joachim Du Bellay [1522-1560] avait déjà formulé à la Renaissance (« La deffence et Illustration de la Langue Françoyse » - 1549). Dans la langue allemande, l'expression « die Toskana-Fraktion » désigne certains membres du S.P.D. (Sozialdemokratische Partei) comme Gerhard Schröder, ou du parti « Die Linke », comme Oskar Lafontaine, qui avaient l'habitude de passer leurs vacances en  Toscane. En France, le terme « gauche-caviar » sera mieux compris pour dénommer des personnalités politiques éloignées des préoccupations sociales.

Les fonctions de l'antonomase : esquisse d'un bilan

L'antonomase passe en revue des stéréotypes,  elle opère sur un plan approximatif ou très pragmatique. Tout comme la catachrèse, elle entretient un rapport d'immédiateté avec ce qu'elle désigne. La catachrèse n'a pas d'autre ambition que de dire les choses le plus sobrement possible : un pet-en-l'air (veste courte), un huit-reflets (chapeau haut de forme), des ailes-de-pigeon (rouleaux de cheveux tombant sur les tempes), les châtaignes de mer (les oursins), le violon (la prison, le panier à salade), une vendangette (la grive), le trusquin (outil de boissellerie), le pousse-caillou (un fantassin), aller aux asperges (tapiner), tomber dans le coaltar (être hébété), etc... A l'image de certains emplois substantifs qui reprennent mot  à mot des réalisations phrastiques (un « suivez-moi-jeune-homme »). Ou des répliques de certains personnages : « tu passeras le bonjour à Alfred ! » (magazine de bande dessinée « Zig et Puce » avec Alfred le pingouin, 1924). L'antonomase se caractérise par cette même raideur dans son rapport à des clichés, à des symboles (le judas, trappe amovible, du nom de l'apôtre Judas Iscariote). Nous l'avons vu, l'antonomase épique se coule dans le format d'une identité figée, dont elle tire une force féconde...

Toute construction antonomasique se résume à cela : y voir clair, souvent au prix d'une redondance dans les emplois prédicatifs. D'où cette stagnation séculaire pour ce qui concerne les mythes, allégories, paraboles religieuses... On retrouve cette même raideur dans son rapport à des faits réels.

Finalement, dans l'antonomase, indépendamment des emplois langagiers, tout est affaire d'éducation et de culture. Cette figure  insiste sur une expérience partagée, cherchant à éviter la dispersion, celle  des particularismes, de l'indigénisme. Elle brasse large à partir d'un processus minimaliste, quitte à aboutir à un raidissement du propos.

Elle laisse résonner dans notre conscience un fait de société, qui y retrouve toute sa vérité (« la lunaparkisation, la disneylandisation des existences », « la cocacolisation des sociétés », « la macdonaldisation des m½urs »).

Enfouie dans le fond des tiroirs du matériau verbal (un matériau aux dimensions « wikipédiesques », il faut bien le reconnaître), l'antonomase s'arrime solidement au principe d'équivalence pour traverser les âges....

          Avec ou sans majuscules, elle exhume des portraits posthumes. Et de ce dernier point de vue, elle assume pleinement une fonction de consolidation de nos savoirs...
                                              Travail personnel du professeur, Bernard Mirgain
Bibliographie

* De l'identification à la catégorisation: l'antonomase du nom propre en français  Bibliothèque de l'Information Grammaticale - Editions Peeters - Louvain - 2005
 
* “L'antonomase en question” de Jean-François Guéraud
“L'information grammaticale” – numéro 45 – mars 1990

L'antonomase. Un scénario simpliste ?

           Nature morte. Cliché du photographe belfortin Gilles Pincemaille

Retour au sommaire général de ce blog : https://bmirgain.skyrock.com/



​ 0 |
​
0
Commenter

#Posté le mardi 26 mai 2020 06:25

Modifié le samedi 12 septembre 2020 04:17

  • Amis 0
  • Tweet
  • Commentaires
  • Kiffs
  • Remix

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (184.72.102.217) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

Article précédent

Article suivant

Skyrock.com
Découvrir
  • Skyrock

    • Publicité
    • Jobs
    • Contact
    • Sources
    • Poster sur mon blog
    • Développeurs
    • Signaler un abus
  • Infos

    • Ici T Libre
    • Sécurité
    • Conditions
    • Politique de confidentialité
    • Gestion de la publicité
    • Aide
    • En chiffres
  • Apps

    • Skyrock.com
    • Skyrock FM
    • Smax
  • Autres sites

    • Skyrock.fm
    • Tasanté
    • Zipalo
  • Blogs

    • L'équipe Skyrock
    • Music
    • Ciné
    • Sport
  • Versions

    • International (english)
    • France
    • Site mobile